Sabine Pirolt

Journaliste reporter
Enquête

Comment ne pas divorcer?

Riches, beaux et célèbres, Angelina Jolie et Brad Pitt formaient un couple idéal, qui a volé en éclats en septembre. Conseils de six professionnels pour ne pas finir comme eux.

Comment ne pas divorcer?

«MR. AND MRS. SMITH», 2005
. La rencontre entre Angelina Jolie et Brad Pitt.

Mardi 20 septembre, la nouvelle a fait l’effet d’une bombe: Angelina Jolie demandait le divorce, après douze ans de vie commune avec Brad Pitt. Envolée la famille parfaite. Détruit, kaputt, fini le couple idéal le plus glamour de Hollywood qui avait pourtant tout pour réussir. Idéal, vraiment? C’est oublier que pour eux comme pour les autres, «un des plus grands défis de l’existence actuelle est la vie en couple, prévient Florence Studer, médiatrice. Il ne faut jamais croire qu’on est à l’abri. J’entends souvent à propos d’un homme et d’une femme qui se séparent: «On n’aurait jamais pensé…» L’herbe semble toujours plus verte ailleurs. Mais on n’est pas dans l’intimité des gens.»
En effet, et c’est tant mieux. Se croire à l’abri parce que son union dure depuis des années et s’asseoir sur ses lauriers est une erreur à ne pas commettre. Dans la colonne «A ne pas faire», le psychologue et auteur d’innombrables ouvrages sur le couple Yvon Dallaire donne un élément capital à ses yeux: «Il faut arrêter de croire que la vie à deux peut nous rendre heureux. Le couple est un creuset pour générer des crises, il est rempli de problèmes insolubles.» Voilà qui est très clair et qui ne rend pas trop optimiste. Mais que propose-t-il alors? «Il faut accepter de se mettre d’accord pour vivre des désaccords à vie. Il faut également accepter que le couple peut vivre des moments critiques. Ça fait partie du jeu. Il faut gérer les crises pour ne pas hypothéquer l’amour.»
Le Canadien, qui en est lui-même à son troisième mariage, admet en riant que c’est… très facile à dire. Le conférencier n’est jamais à court de formules percutantes: «Il faut choisir entre être heureux et avoir raison. Les couples malheureux jouent à «J’ai raison de voir les choses ainsi et tu as tort de voir les choses comme ça». D’ailleurs, dans la pièce où il reçoit ceux qui ne s’entendent plus, il a installé un jeu de dames et un autre d’échecs pour mieux faire passer son message. «Si l’un joue aux dames et l’autre aux échecs, aucun ne comprend que l’autre ne comprend pas. Pour être heureux, il faut alterner le pouvoir plutôt que d’être dans la lutte. Les couples heureux développent un troisième jeu, dont les règles sont un mélange des deux règles.»
Dans sa pratique, Florence Studer remarque qu’un des écueils rencontrés par les couples tient au fait que chacun évolue différemment – on passe beaucoup de temps ailleurs qu’au sein de la famille – et, ainsi, chacun change au fil des nombreuses années de vie commune. Certains deviennent si différents qu’ils ne se comprennent plus. «J’entends de plus en plus de couples qui me disent: «Quand on s’est connus, on était attirés par nos différences; aujourd’hui, on ne les supporte plus. Il peut s’agir de valeurs, d’idées politiques ou de tempérament. Une partie des gens arrivent à en faire quelque chose.»
Son conseil? Ne pas attendre d’en parler, avoir le courage de voir la réalité en face et se remettre en question avant qu’un fossé ne s’installe.En effet, une fois qu’il est là, il est trop tard. Encore faut-il que les deux mettent du sien. Ce qui n’est pas toujours le cas. «Un monsieur m’a confié que, dans l’éducation de sa femme, il ne faut pas parler des problèmes, comme ça ils n’existent pas; ou alors, si on les évoque, il faut trouver un ou des coupables.»

Ces limites à ne pas dépasser
N’empêche, bien qu’il faille parler, «il ne faut pas tout dire, sinon le couple ne tiendrait pas huit jours», avertit Robert Neuburger, psychiatre, thérapeute de famille et auteur de nombreux ouvrages sur le couple. Il conseille d’apprendre à se taire, notamment sur son passé sexuel, car les fantasmes sont fragiles. Mais il s’agit de communiquer tout de même. Et le psychiatre d’expliquer que la communication non verbale doit occuper la moitié de la place. «La communication corporelle, qui est un ensemble de comportements, est fondamentale, plus importante que la parole. C’est la façon de se toucher, de se regarder. C’est ça l’intimité. Elle se vit.» Et d’évoquer les couples que l’on invite chez soi. «On voit en cinq minutes s’ils se regardent ou n’en font rien, s’ils sont proches ou non physiquement.»
Evidemment, tout ne passe pas par les gestes tendres, les regards, les petits baisers et les caresses. Il faut également se parler, bien sûr, «mais subtilement, et ne pas aller au-delà de ce qui est possible. C’est très intuitif», rappelle Jean-Claude Kaufmann, sociologue, directeur au CNRS et auteur d’ouvrages sur les couples et la famille notamment. Dépasser la ligne, tout se dire, peut être dangereux. «On peut détruire la base de bienveillance qui fonde le couple qui dure. Une bienveillance de tous les instants.» Mais faut-il même taire le petit détail qui agace? «Il est utile de l’évoquer, il faut en revanche attendre le bon moment, sentir quand on peut et en parler avec humour.»
On l’aura compris, l’harmonie conjugale demande beaucoup de travail, énormément d’attention, une sacrée dose de zénitude, du doigté. Et ce n’est pas fini. Il faut encore manifester beaucoup de tolérance envers l’autre, comme l’explique Jean-Claude Kaufmann: «Nous vivons dans une société qui détruit l’estime de soi. Le couple d’aujourd’hui a une fonction nouvelle: remonter le moral du partenaire. Le couple est notre premier fan et un lieu de caresses psychologiques.» Et le sociologue de conseiller d’accepter le laisser-aller domestique de l’autre qui consiste, par exemple, à regarder des feuilletons débiles dans un vieux vêtement d’intérieur, avachi sur le canapé.» Mais, attention, accepter ces coups de mou ne suffit pas, encore faut-il le faire avec bienveillance, y ajouter de la joie et des moments plus forts d’attention à l’autre.

Tout un programme qui frise la canonisation.
Et l’avachi, alors, quelle est sa tâche? «Il peut se laisser aller, à la condition qu’il soit présent dans un deuxième temps et qu’il y ait une étincelle dans le regard.» Jean-Claude Kaufman rappelle que, si l’autre est un petit thérapeute, il ne faut pas lui en demander trop, au risque de casser la mécanique. Quand la fonction «thérapeutique» du couple diminue, elle bascule dans le contraire et chacun va envoyer des vacheries à l’autre.
Et Yvon Dallaire de prendre le relais avec l’une de ses formules efficaces: «Le bonheur est une question d’odeur. On a le choix entre brasser des fleurs ou de la merde. On peut faire des compliments ou choisir de regarder tous les défauts de l’autre et lui dire tout ce qui ne va pas. Cependant, on ne construit pas sur du négatif.»

Et si…
Tout est donc une question d’état d’esprit, qui dépend notamment du bien-être que chacun ressent. Pour être bien dans sa peau, pour maintenir son énergie vitale et, ainsi, celle de son couple, «il faut avoir des buts et les entretenir», conseille Anne Reiser, avocate spécialisée dans le droit de la famille à Genève, qui a déjà accompagné des centaines de couples qui divorcent. A chaque étape de sa vie, notamment le moment où les enfants deviennent plus autonomes et celui où ils quittent la maison, il est fondamental de se demander: «Qu’est-ce que je veux pour moi, pour nous?». «Lorsqu’une personne garde sa boussole orientée bonheur et accomplissement, elle est forcément orientée santé et énergie vitale. Du coup, toutes les relations aux autres sont irriguées, tout comme sa relation à son partenaire.»
Ne pas tout dire à l’autre, lui faire des compliments plutôt que des reproches, jouer le rôle de «petit thérapeute», se fixer des buts: à tous ces conseils, Laure Zanchi, consultante de couple à PROFA Lausanne, en ajoute un autre: réserver un moment de la semaine uniquement pour le couple. «Certains aiment dialoguer, d’autres pratiquer un sport ensemble. Il est important de valoriser ce moment.» Elle rappelle aussi qu’il ne faut pas oublier de prendre soin de son intimité: «Il faut se donner du temps pour se rapprocher, émotionnellement et physiquement, renforcer le sentiment du nous.» De même, il ne faut pas croire que la sexualité est naturelle. «Elle s’enrichit d’un dialogue et d’un partage sur ce que l’un et l’autre aimons.»
Et si tous ces conseils ne fonctionnent pas? Les thérapeutes affirment qu’il est difficile de vivre toute une vie de couple sans un coup de pouce extérieur. Laure Zanchi: «Demander de l’aide, c’est faire preuve de volonté et de maturité nécessaires à un questionnement sur son couple en difficulté.»

Téléchargez le pdf Paru le: 22 décembre 2016 dans l'Hebdo
Une possibilité
Savoir accepter le laisser- aller domestique de l’autre qui consiste, par exemple, à regarder des feuilletons débiles dans un vieux vêtement d’intérieur, avachi sur le canapé.