RESPONSABLE Carlos Leal aimait les modèles tape-à-l’oeil qui parachevaient son image de rappeur. Aujourd’hui, à 50 ans, cet acteur devenu père de famille mise sur l’écologie et la sécurité.

Au bout du fil, à quelques milliers de kilomètres de la Suisse, la voix est chaleureuse. En guise de fond sonore, des oiseauxqui pépient. Carlos est installé dans son jardin, non loin de la porte d’entrée de sa maison à Los Angeles. «Dans cette verdure, on se dirait dans la campagne fribourgeoise.» Une petite voix craquante à l’accent californien vient parfois interrompre l’entretien. C’est celle de Tyger, sa fille de quatre ans qui regarde le dessin animé Frozen 2 et lui demande de zapper les passages qui lui font trop peur. On entend Carlos lui parler avec douceur et exécuter les ordres. Le voilà de retour au bout du fil, prêt à causer voitures, avec un petit détour par le passé. Un détour qui permet de mesurer la route parcourue depuis ses folles années de jeune rappeur qui a co-fondé le groupe de hip-hop Sens Unik. On connaît la suite: les neuf albums et les tournées en Europe, en Amérique du Nord et en Afrique. Les automobiles qu’il conduit alors sont le reflet de sa vie tumultueuse d’artiste «qui a besoin de caresser son ego». Une voiture représente l’esprit de celui qui la conduit. «J’aimais l’aspect conquistador, roi du monde et agressif de certains modèles. J’ai grandi avec ce truc qui consiste à arborer une image, une attitude, une marque. C’est pour ça que j’ai eu une Volvo 121. Je pensais: si j’ai une super voiture, les gens vont dire du bien de moi.»
Diablement assagi
Aujourd’hui, ce Californien d’adoption s’est diablement assagi et, à 50 ans, sa préoccupation est de rouler le plus vert possible pour respecter la planète et ses habitants. On l’aura compris, les années passant, l’acteur, devenu père de famille, a troqué son esprit frimeur contre une attitude écoresponsable. Tout de même, dirait-il non à une Ferrari donnée en cadeau? «Je la vendrais et j’achèterais une voiture confortable ainsi que trois motos électriques. Le m’as-tu-vu, je trouve ça ridicule. Je ne critique pas les gens qui sont passionnés par les voitures de sport. La passion, c’est très beau. Mais si c’est juste pour le show…» En matière de mobilité, deux choses lui manquent à Los Angeles: pouvoir se déplacer en deux-roues et à pied. «Peu de gens marchent ici. Les distances sont trop grandes. J’envie ceux qui vivent dans une ville où il est possible de faire travailler son corps pour se déplacer.» Quant aux scooters ou motos, moyen de locomotion qui paraît idéal dans une région où le soleil brille 300 jours par année, leur usage est dangereux. «Le conducteur lambda panique lorsqu’il croise un deux-roues. Il n’est tellement pas habitué qu’il ne sait pas comment réagir. Ils essaient de développer ce genre de transport ici, mais l’Américain est tellement attaché à sa voiture.» Alors, l’acteur fait comme tout le monde, il prend son auto. Pour ses déplacements professionnels, mais également pour accompagner sa fillette à l’école, ou y conduire parfois son fils de 12 ans lorsqu’il est en retard et a raté le bus. «Pour mon fils, avec le trafic, ça me prend 45 minutes. C’est fluide, mais il y a beaucoup de véhicules. J’écoute KCRW, une radio de top niveau.»
Entre désert et océan
Si Carlos Leal estime perdre beaucoup trop de temps dans la circulation, il aime prendre le volant pour s’évader de la ville, loin du trafic et des feux rouges. «Ici, à Los Angeles, on est à 1h30 du désert, à 2 heures des montagnes pour skier et à 20 minutes de l’océan. Dès que la ligne d’horizon s’agrandit, le dépaysement est garanti. Je préfère conduire quand j’ai de l’espace devant moi et un objectif.» En attendant de pouvoir s’enivrer de larges étendues au volant de sa voiture, l’artiste s’apprête à se confiner, comme la majorité des Californiens en cette fin de mois de mars. Il devait tourner pour la série «The L Word: Generation Q», mais tout est repoussé à fin mai, avec, il le craint, un risque de renouvellement du confinement. Il avait également un autre projet en route, la série For all Mankind, pour Apple TV, mais la production a décidé d’annuler le tournage. «Ici, dans le milieu du cinéma, il ne se passe plus rien. Il n’y a que les films d’animation qui continuent.» Alors l’acteur, toujours passionné de musique, travaille à des projets personnels. «J’en profite pour écrire des chansons. Je bosse sur deux nouveaux titres.» En début d’année, il a déjà sorti un double single, «Les brunes et les blondes» suivi de «Highway». Chantées en français, les paroles sont portées par une électro dansante. «J’en suis très fier, comme des clips d’ailleurs.» Et ça marche? «La musique rapporte quand on tourne ou on passe en radio. Aujourd’hui, c’est très dur pour les artistes qui ne sont pas hyper populaires.» Heureusement, pour Carlos Leal l’acteur, tout va bien merci. Installé depuis 2011 à Los Angeles – après avoir passé six ans à Paris – il s’en sort bien. «Financièrement, c’est ok, j’ai des projets importants, mais psychologiquement, c’est rude.» En effet, la vie d’acteur est faite de surprises et non de stabilité. «Parfois, je n’ai rien durant trois ou quatre mois. Même les plus grands ont des moments d’instabilité absolue. Il faut apprendre à vivre avec l’incertitude à gauche et l’espoir à droite.» Pour pratiquer ce métier, le Vaudois a également dû apprendre à avoir la peau dure. Un processus qui a commencé en 2005, lorsqu’il a quitté la Suisse pour la Ville Lumière. «A Paris, le milieu est une fosse aux requins. Si un acteur ne s’endurcit pas, il est malheureux. Il ne faut pas prendre les choses personnellement, sinon le risque est grand de ne plus croire en soi.» Pour arriver à encaisser les échecs à des castings et accepter de ne pas avoir la renommée qu’il souhaiterait, Carlos Leal a fait un travail sur lui grâce au yoga et à la méditation. Il doit également quelques-uns de ses succès à son épouse, Jo Kelly, elle-même comédienne et coach d’acteurs. Elle lui apporte son aide lorsqu’il doit passer des castings importants. «Comme les artisans, je passe beaucoup d’heures à travailler mes rôles.» Et alors que ce fils d’immigrés espagnols – tous deux couturiers – a voulu devenir acteur par désir de reconnaissance et de célébrité, il a découvert la beautéde ce métier. «Il permet d’explorer l’âme des autres êtres humains, d’en comprendre la psychologie, sans les juger. Et on est payé pour cela! C’est génial.»