Sabine Pirolt

Journaliste reporter
Bénévolat

Parrainer un migrant: une expérience win-win

Mieux s’intégrer, grâce à un contact privilégié avec une famille ou une personne de la région. C’est ce que proposent de nombreuses associations romandes à de jeunes migrants. Photos Yves Leresche

Légende

« J’aimerais des gens un peu vieux, comme mes grandsparents» : voilà une phrase que Valérie Despont entend régulièrementlorsqu’elle s’entretient avec de jeunes migrants, dans le cadred’Action-Parrainages du canton de Vaud. Enseignante en arts visuels,  cette bénévole emploie presque tout son temps libre à rencontrer des requérants d’asile ainsi que des familles, des couples ou des personnes seules de la région prêts à les soutenir dans leur intégration. A elle, ensuite, de former ce que les professionnels appellent des « binômes », selon les centres d’intérêt et les attentes des uns et des autres. Et les aînés sont en première ligne. « Les jeunes me disent qu’ils aimeraient quelqu’un qui soit comme un guide, une personne qui a vécu beaucoup de choses. » Leurs parents ne sont, en effet,  plus là pour leur montrer le chemin. Par ailleurs, selon son expérience, un tiers des jeunes souhaitent des « parrains » et des« marraines » sans enfants. Et Valérie Despont de sourire : «Ils ont raison, les gens à la retraite vont bien les cocoler. » Dans le canton de Vaud, Action-Parrainages est née en 2016. La crise migratoire bat alors son plein. Au cours de l’année précédente, plus d’un million de personnes sont entrées illégalement dans l’Espace Schengen1. Presse, radio, télévision, le sujet occupe l’actualité et les images des cohortes de personnes démunies traversant les Balkans à pied font le tour du monde. Pasteure, Diane Barraud se souvient :« Beaucoup de gens touchés par la situation des migrants nous appelaient pour demander ce qu’ils pouvaient faire. » Lors d’une première séance d’information, 150 personnes se sont déplacées, « tous horizons confondus, se souvient la jeune femme. Notre but était d’encourager les liens entre habitants et migrants, dans l’accueil, l’aide et l’intégration. »

REÇU CINQ SUR CINQ
Apparemment, le message a été reçu cinq sur cinq, puisque, deux ans plus tard, pas moins de 450 adultes ou familles participent à ce projet. Partager un repas, faire découvrir sa région, converser en français, participer à la recherche d’un appartement, d’un travail ou aux démarches juridico-administratives, les coups de main à donner sont multiples.Quelles craintes ou appréhensions les bénévoles expriment-ils ? « Les gens qui souhaitent se lancer dans ce genre d’action sont ouverts, et les différences culturelles ne leur font pas peur. Par la suite, dans les entretiens en privé, certains nous ont demandé s’ils devaient donner de l’argent à leur filleul. Ce n’est pas le but, mais offrir un café si la rencontre a lieu à l’extérieur ou payer une sortie sont des gestes bienvenus, vu le faible revenu des migrants. En Suisse, nombreuses sont les initiatives qui proposent aux citoyens de donner un peu de leur temps pour aider les migrants. Le projet « Paires » a, par exemple, été mis sur pied partrois étudiants des régions de Lausanne et d’Yverdon et est constitué de 11 jeunes bénévoles. Autre action: celle du Service social international qui a lancé l’action « 1 set de + à table ». En Suisse romande, 320 familles ont donc ajouté un set et s’occupent de mineurs non accompagnés (MNA) ou d’anciens MNA. Alors que les MNA sont encadrés par un éducateur et un curateur(ou un tuteur s’ils sont orphelins), à leur majorité, l’aide se restreint. Celle des bénévoles devient alors cruciale.

DES FAMILLES DIFFÉRENTES
Mais est-ce que tout est rose au pays des tandems ? Chargée de projet MNA, Alicia Haldemann explique que, parfois,les élans de bonne volonté de la part des familles ne sont pas suivis de rendez-vous réguliers, faute de temps. Côté migrants, si la demande vient du curateur, la motivation n’est pas toujours débordante. « Cela reste des ados. Ils y vont une fois et n’y retournent plus. » Autre fausse note : certains comparent leur famille entre elles et trouvent mieux celle des autres, car ellefait plus d’activités avec le jeune. « On essaie de leur expliquer que toutes les familles sont différentes. »Dans un rapport commandé par le Secrétariat d’Etat aux migrations2 qui porte sur l’apport du travail bénévole à l’intégration, la tranche d’âge la plus représentée est les 40-64 ans. La forme d’engagement la plus courante est, elle, hebdomadaire avec une moyenne de 3,2 heures par semaine. Quant au niveau de formation des bénévoles dans le domaine de l’intégration, il a tendance à être élevé (niveau secondaire II et tertiaire, soit université et les hautes écoles).

RETRAITÉS DEMANDÉS
Responsable d’Action-Parrainages pour la région de Lausanne, Marjolaine Blanc souhaiterait que davantage de retraitésse lancent dans cette aventure, car, du côté des migrants, la demande est grande. « Les retraités offrent un cadre parfait : ils ont une expérience de vie qui est précieuse et ont plus de temps. Il n’est pas rare qu’ils consacrent une journée entière, voire deux par semaine à un réfugié, alors que les gens qui travaillent et ont une famille proposent des rencontres moins régulières.» Elle constate que les seniors —dont le réseau est toujours efficace — ont également plus de patience lorsqu’ilsenseignent le français aux jeunes. « Etre parrainé par un retraité, c’est vraiment magique ! » Psychothérapeute et écrivaine, Rosette Poletti, est bien placée pour parler du sujet. Elle-même vit avec un couple de Tibétains, une expérience qui dure depuis quatre ans. L’atout des seniors ? « Avec les années, on devient plus serein. On a fait la part des choses, on relativise. Cela amène plus de tranquillitéet de paix dans la relation. On a également moins d’attentes. » Selon l’octogénaire, une des qualités des seniors est de « laisser être ». Avec les années grandit ce qu’elle appelle « la capacité d’acceptation des gens et des choses comme ils sont ». Une qualité importante dans une relation avec les migrants. « La difficulté pour eux est de trouver leur place dans la société qui les accueille, sans changer fondamentalement qui ils sont. On s’intègre d’autant mieux qu’on sait qui on est. C’est important de rencontrer les gens là où ils sont et de les accompagner là où ils veulent aller. »

 

« JE COMPTE BIEN ÊTRE LA MARRAINE DE SON ENFANT »

« S’il résiste à ce stage-là, il est très motivé. » Voilà ce que Jean-Marc Lepori, 59 ans, s’est dit en décembre 2014, alors que la neige tombait et que celui qui est devenu son protégé faisait son premier jour de menuisier stagiaire. Agé aujourd’hui de 22 ans, Alaai, qui a grandi en Guinée Bissau, se souvient bien de ce jour-là. « C’était dur, je n’étais pas habitué à travailler dehors, mais je voulais vraiment faire ce métier. Jean-Marc et son frère, qui ont une entreprise de menuiserie, font tout: isolation, charpente, mécanique, carrelage, j’ai appris plein de trucs avec eux. » Si Alaai n’est pas parvenu à obtenir un CFC dans la branche — il a échoué aux cours théoriques — il a obtenu la qualification d’aide-menuisier. Entre cette famille de la région de La Côte et cet orphelin de 15 ans arrivé seul en Suisse, tout a commencé grâce à l’artiste François Burland, qui mène des projets avec de jeunes migrants et qui avait repéré le goût du jeune Africain pour la menuiserie. Le plasticien, qui connaît les Lepori, les a contactés pour leur présenter Alaai. Depuis, Gladys et Jean-Marc Lepori ont pris le Guinéen sous leur aile. Sage-femme, Gladys Lepori, 58 ans, raconte : « Pour nous, c’était une évidence. Nous avions déjà une expérience d’accueil, car nousavons adopté un de nos quatre enfants. Alaai est mon petit protégé, c’est comme mon fils. Il sait qu’on est toujours là pour lui. On est unpeu comme une ancre, un point de repère pour lui. » Orphelin — sa mère est morte à sa naissance et son père est décédé alors qu’il avait 4 ans — Alaai raconte combien il a été touché par l’accueil des deux Vaudois. « Ils ont eu confiance en moi, c’est très important. Mes amis, qui n’ont pas de famille en Suisse, ont été très étonnés d’en voir une comme cela. »

Aide pour les devoirs, leçons d’auto-école, soutien dans les démarches administratives, invitations pour les fêtes de famille, les Lepori ont entouré de leur mieux le jeune migrant. L’entrepreneur explique : « Il me paraît normal d’aider les autres. Pour moi, le temps donné fait partie de l’échange. Notre but est qu’il ait toutes les chances de son côté pour réussir dans la vie. En Afrique, personne ne lui a fait de cadeaux. Nous aimerions qu’il puisse vivre comme tout le monde, avoir son diplôme et des satisfactions. » Et eux-mêmes, quelle satisfactiontirent-ils de cette expérience ? Gladys Lepori énumère : « Un enrichissement mutuel, des discussions, un échange d’idées, de la joie. Au fil du temps, on s’attache, on s’affectionne. » Alors, quand la sage-femme se projette dans le futur, Alaai en fait partie. « On gardera toujours des liens, on l’invitera toujours. Dans quelques années, on ira visiter son pays ensemble. » La quinquagénaire est fière de la réussite du jeune homme. « Il a un travail dans la logistique, un appartement bien entretenu, une copine. Un jour, je compte bien être la marraine de sonenfant. » Son époux partage son enthousiasme : « Le fait d’avoir connu Alaai, ce n’est que du bonheur. J’encourage d’autres couples à aider un migrant. On trouve toujours un moyen. »

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