Sabine Pirolt

Journaliste reporter
Reportage

Appenzell: capitale suisse des nouveau-nés

Tradition, religion, enracinement, qualité de vie et vastes maisons: de nombreux facteurs expliquent pourquoi les Appenzellois détiennent le record de naissances. Reportage au pays des gens qui aiment faire des bébés.

VIE Les Baumann et les Enzler ont chacun 2 filles et 2 fils. Barbara Baumann pense qu’il est plus facile d’avoir beaucoup d’enfants à la campagne car ils peuvent jouer dehors.

A 31 ans, Jeanine Enzler est une mère au foyer comblée. Elle vient d’accoucher de son quatrième enfant: Noena, 3 mois. Son aîné, Nevio, a 7 ans. Il est suivi par Elina, 4 ans, et Leano, 2 ans. «J’ai toujours voulu quatre enfants.» Assis à la table familiale de leur jolie maison à Appenzell, son mari, Markus, un policier de 37 ans, renchérit. «Quatre, c’est parfait, ils peuvent jouer ensemble. Ici, les gens ne nous regardent pas avec de gros yeux lorsque nous sortons en famille. Nous voyons d’ailleurs de plus en plus de couples avec au moins trois bambins dans notre entourage.» Bien sûr, les Enzler doivent compter: ils ne partent pas en vacances, se contentent d’après-midis à la piscine et de petites excursions. Quant à leur dernière sortie au cinéma, elle date d’il y a sept ans. «Mais nous sommes heureux ainsi.» Avec un taux de 26,9‰, la commune d’Appenzell détient le record suisse de natalité, même si la maternité a fermé l’été dernier et que les femmes accouchent dans des hôpitaux à 15 ou 20 kilomètres de là. Pourquoi ce record? Les Enzler avancent des explications. «C’est si beau ici. L’environnement est idéal et favorable aux enfants. La qualité de vie est bonne: il n’y a pas trop d’étrangers. Nous nous sentons en sécurité», explique Jeanine. Pour Markus, «il y a la nature, les montagnes, la tradition».

Un monde intact
Evidemment, les belles montagnes et la verte nature n’expliquent pas tout. Debout devant une grande carte murale représentant la commune, son président, Erich Fässler, détaille les différentes zones d’habitation. Beaucoup sont en droit de superficie, ce qui diminue les coûts de construction des maisons. «De nombreuses familles possèdent une propriété, elles ont de la place. Et même si la natalité a baissé dans les années 80, on voit de nouveau des couples qui ont quatre enfants.» A ses yeux, une bonne qualité de vie, une riche palette de loisirs, qui vont de la piscine à l‘école de musique en passant par de nombreuses activités organisées par l’Eglise, l’influence de la religion catholique, l’enracinement des gens dans la région et le fait que les enfants peuvent, très jeunes, se déplacer librement et en sécurité expliquent ce record national. Les allocations pour enfants sont, par contre, au minimum légal: 200 francs par mois.

Non loin de la mairie, le groupe de jeu. Il accueille quelque 75 enfants à l’année, qui viennent deux heures par semaine. Daniela Rusch, mère de famille de 39 ans, y reçoit les bambins, dont les plus jeunes ont 24 mois. Elle n’est pas étonnée que son village détienne le record national des naissances. «Nous ne connaissons pas les problèmes qui touchent les grandes villes, soit la violence et les drogues. Le chômage est très faible, les jeunes ont des perspectives. Ils trouvent facilement des places d’apprentissage grâce à leurs relations, car tout le monde se connaît. Ici, le monde est en ordre, intact, et la famille est une notion importante.» Et qui prend soin de la famille? Les femmes, qui, pour la plupart, restent au foyer pour élever leur progéniture. Le nombre de places à disposition au Chinderhort Appenzell (la crèche) ferait rêver plus d’un habitant des grandes villes. Monika Rüegg, sa présidente, désespère: «Nous n’avons pas de liste d’attente: dites-le haut et fort! Nous n’avons que 63 enfants et pourrions en accueillir 100. Aucun d’entre eux ne vient à plein temps. Actuellement, le maximum est quatre demijournées. Dans la région, les femmes qui donnent leurs enfants à garder en dehors de la famille sont mal vues. Ce sont les grands-mères, les tantes ou les voisines qui s’en chargent.»

Apparences trompeuse 
On s’en doute, la création de la garderie, voici dix ans, n’a pas été une sinécure. Curé du village depuis quinze ans, Stephan Guggenbühl raconte la levée de boucliers à laquelle il a dû faire face lorsqu’il a décidé d’attribuer aux bambins une maison qui était dédiée à l’accueil des prêtres. Elle était pourtant vide depuis longtemps. «Ici, les gens pensent qu’une bonne mère reste au foyer et que son mari va travailler. Mais c’est tellement naïf de demander aux femmes de rester à la maison! Heureusement, les choses changent, même si cela prend bien plus de temps dans le canton d’Appenzell.» Les questions sur son activité professionnelle, Maïdonneli Bantle-Lemeslif, cette sage-femme appenzelloise, mère de deux enfants, a dû y répondre plus souvent qu’à son tour. Née à Paris d’une mère appenzelloise et d’un père breton, elle a vécu dans la capitale française jusqu’à 19 ans. Amoureuse de la région où elle passait toutes ses vacances avant de s’y établir. Au cœur de la maternité, elle explique que beaucoup de couples veulent quatre enfants, parce que «c’est un beau chiffre». «Ici, les deux tiers des femmes accouchent sans péridurale. Elles ne sont pas douillettes, bougent beaucoup dans la vie quotidienne, ce qui facilite l’accouchement. Il y a une solidarité: les gens se passent les habits, les vélos, les jouets.» Mais le tableau qu’elle dresse n’est pas paradisiaque pour autant: «En vingt-cinq ans de pratique, je n’ai rencontré qu’une dizaine de familles où je me suis dit que les bébés étaient à une bonne place, que leurs parents avaient beaucoup de cœur et de compréhension. Dans certains foyers, c’est l’horreur car le père ne voulait pas du quatrième enfant. Tout n’est pas rose ici. Il y a aussi du gris.»

Téléchargez le pdf Paru le 20/06/2013 dans l'Hebdo
Grand écart
Ce reportage à Appenzell a paru dans le cadre d'un dossier publié sur la Suisse de tous les extrêmes. Les statistiques suisses témoignent de disparités gigantesques entre les communes du pays: démographie, richesse, immobilier, sécurité.  La Suisse, un pays monolithique, à la fois riche, tranquille et terne? Pas tant que ça!