Sabine Pirolt

Journaliste reporter
Delray Beach

Des bébés pour les autres

La Floride est un état américain particulièrement favorable à la gestation pour autrui. Rencontre avec des mères porteuses et un couple devenu parents en louant un ventre.

COMPLICITÉ Jeannette Ziobro (au centre) a porté et mis au monde des jumeaux pour Ryan (à gauche) et Jessamyn qui, après un cancer, n’a plus d’utérus. (© Chris Bott)

Le bonheur. C’est ce qui se lit sur le visage de Jessamyn Hall et Ryan Hall. A 36 et 37 ans, les deux Américains sont devenus parents, enfin. Nées le 22 juin, leurs jumelles dorment dans leur couffin. Assise à leur côté, Jeannette Ziobro, 38 ans, vendeuse d’assurances, écoute le récit de l’enseignante et du pasteur. Elle a les larmes aux yeux. Pourtant elle connaît leur histoire par cœur, puisque c’est elle qui a mis Jenna et Evelyn au monde, voici 9 jours. Son ventre est encore rond. Elle reprendra le travail dans une semaine. La mère porteuse et le couple habitent sur la côte est de la Floride.
Une complicité visible lie le trio, résultat de neuf mois d’une communication régulière et de fréquentes rencontres. Divorcée, Jeannette est mère d’un enfant – une fillette de 5 ans – et a une relation stable avec un homme, deux conditions importantes à remplir pour devenir mère porteuse en Floride. Premier rendez-vous. Jessamyn Hall aurait bien aimé être enceinte, mais elle n’a plus d’utérus à la suite d’un cancer. Le couple a d’abord essayé de trouver une solution «maison». «Nous avons demandé à la sœur de ma femme, mais elle est tombée enceinte de son deuxième enfant. Puis à deux amies qui ont dû interrompre le processus pour des raisons médicales.» Finalement, ils se sont adressés à une agence de mères porteuses.

Jessamyn et Ryan se souviendront toute leur vie de leur première rencontre avec Jeannette, un samedi de juillet 2010. Ryan raconte: «Nous nous sommes retrouvés dans un café. C’est comme un rendez-vous arrangé avec une personne inconnue pour trouver l’amour. C’était vraiment fort: nous avons parlé de cancer, de fécondation in vitro, de détails intimes sans nous connaître. A la fin, ma femme lui a demandé: “Alors, vous voulez bien être notre mère porteuse?” Elle a dit oui. Nous avions tous les larmes aux yeux.» Jeannette évoque sa propre nervosité. Dès la première rencontre, elle a précisé qu’elle était d’accord qu’on lui implante jusqu’à trois embryons. Ryan précise : «A partir de deux déjà, les risques augmentent pour la femme. Une partie de nous disait “oui des triplés!”, mais nous avons préféré être raisonnables et avons demandé deux. Cela a marché du premier coup.»
Jeannette a mené une grossesse sans problème. Bien sûr, les injections qu’elle a dû se faire pour préparer son corps à la grossesse n’ont pas été une partie de plaisir. Un geste quotidien durant 21 jours. «La progestérone me donnait de très forts maux de tête.» De même, c’est Ryan qui a dû piquer son épouse tous les soirs pour que ses ovocytes arrivent à maturation au bon moment – en phase avec Jeannette – et qu’ils puissent lui être prélevés et fécondés avec le sperme de son époux. «L’aiguille faisait dix centimètres. Tous les soirs, elle avait très mal et criait.»

Présent dans la salle d’accouchement, Ryan a pu couper le cordon ombilical des bébés dont il a découvert le sexe. Jeannette raconte: «C’était magnifique de les voir. Elles pleuraient toutes les deux.» Dans leur couffin, les jumelles s’agitent. Jeannette demande à prendre l’une d’elles dans les bras. Elle la serre tendrement. «C’est une partie de moi. Je les aime. Pas comme un père ou une mère, mais je les aime. Je ne savais pas que ce serait ainsi.» Referait-elle la même chose? «Je n’échangerais cette expérience pour rien au monde.» L’argent qu’elle a reçu – 25 000 dollars – est placé sur un compte en banque pour les futures études de sa fille. Le couple, lui, a dû débourser 80 000 dollars – un prix moyen – pour, notamment, les frais médicaux et les honoraires de l’avocate qui a rédigé le contrat de plusieurs dizaines de pages passé avec la mère porteuse, qui bénéficiait elle-même des services d’un avocat. «Notre famille nous a aidés à payer», explique sobrement Ryan.

Tri très sélectif
Un peu trop idyllique l’histoire de Ryan, Jessamyn et Jeannette? A entendre les témoignages d’autres mères porteuses, elle n’est pas exceptionnelle. Si la gestation pour autrui (GPA) reste un contrat entre un couple et une femme, des liens se développent au cours des neuf mois, surtout si les personnes impliquées sont proches géographiquement: la future mère accompagne la «gestatrice» chez le gynécologue. On s’envoie des SMS et des e-mails, on se téléphone. On mange ensemble parfois.

Avocate à Delray Beach, petite ville sur la côte est de la Floride, Charlotte Danciu a fait de l’adoption et de la GPA sa spécialité. Dans son étude, le décor n’est que photos d’enfants, peluches et autres objets en lien avec la maternité. Elle a 300 cas de GPA à son actif. «Chaque année, le chiffre double. C’est surtout les cinq dernières années que cette pratique est devenue de plus en plus populaire. En Floride, les médecins sont très compétents. Ma clientèle internationale augmente, car le cours du dollar baisse et, en Europe et en Amérique du Sud, de nombreux pays l’interdisent.» De fait, Charlotte Danciu n’assure pas le service après-vente. De retour chez eux, aux parents de s’arranger avec les lois nationales.
Pour satisfaire les demandes, elle est en permanence à la recherche de mères porteuses, par le biais de petites annonces dans la presse et sur l’internet. Mais pour beaucoup d’appelées, il y a peu d’élues. «Sur dix femmes qui me contactent chaque semaine, j’en retiens une seule.» La liste des critères à remplir est précise: être mariée ou en couple, mère au moins d’un enfant, ne pas fumer ou consommer de drogues, avoir une situation financière et personnelle stable. «Avec l’expérience, je décèle vite le style de vie d’une femme. Ma préférence va à celles qui ont entre 25 et 42 ans. L’idéal? Une mère qui a la trentaine: elle a assez de maturité pour mener à bien le projet d’un couple. Il faut qu’elle ait en tête qu’elle est un incubateur.» Les femmes retenues par Charlotte Danciu passent encore un examen médical et psychologique. Leur mari ou compagnon est également tenu de se soumettre à des tests médicaux, pour notamment détecter des maladies sexuellement transmissibles. «Toutes ces exigences ne figurent pas dans la loi. C’esl’expérience qui m’a appris à prendre le maximum de précautions.»

Pour l’argent
On pourrait imaginer que la motivation des mères porteuses est l’argent. Charlotte Danciu nuance: «Pour beaucoup, la GPA est la chose la plus importante qu’elles puissent faire pour leur prochain. Bien sûr, les dollars sont les bienvenus. Ils servent en général à payer des “extras”, comme une formation pour elles-mêmes ou des études à leurs enfants.» Selon ses observations: 70% prêtent une seule fois leur ventre, 30 % renouvellent l’expérience. «Elles ne sont que très peu à avoir porté trois bébés pour des autres.»

C’est le cas de Dawn Sanchez qui vit à Greenacres, à 110 kilomètres au nord de Miami. A 30 ans, elle est mère de deux filles de 8 et 9 ans. Février 2007, mars 2008 et octobre 2010: ce sont les dates de ses trois derniers accouchements. Elle se souvient précisément du poids et de la grandeur des deux garçons et de la fillette mis au monde. «J’étais chaque fois heureuse pour les parents.» A ses côtés, son second mari Jonny, un jovial Portoricain. Il travaille pour une société d’encaissement. Il l’écoute parler de sa première GPA, bien installé sur le canapé de leur modeste pavillon. «La femme était très à cheval sur la nourriture: elle me suppliait de ne pas manger de poisson, et de ne pas boire de sodas ou de cafés. J’ai respecté ses désirs. Mais avec mes propres enfants, je mangeais de tout. J’ai reçu 25 000 dollars, en versements mensuels.» Le deuxième couple ne lui a rien imposé au niveau alimentaire. «C’était leur second enfant. Ils étaient propriétaires de deux entreprises. Je voulais 40 000 dollars. Ils proposaient 30 000. Finalement j’ai obtenu 38 000 dollars.» C’est le troisième couple – des avocats – qui s’est montré le plus généreux: «45 000 dollars, une voiture, des cadeaux pour les enfants et des tickets d’avion pour aller voir ma famille en Californie. Sans eux, nous n’aurions jamais pu y aller. Je gagne 25 000 dollars par année.» Comme les autres futurs parents, ils sont venus manger chez Dawn. «Je pouvais parler à la femme, mais son mari était tout le temps au téléphone avec des clients ou derrière son iPad. Ils venaient de l’Alabama et louaient une maison à Miami.» L’argent reçu, Dawn l’a dépensé pour payer son divorce, sa formation d’aide-médicale et les dépenses du ménage. Elle montre le contrat de 54 pages signé avec l’un des couples: «Tous les détails sont prévus: ce que les médecins me font, le supplément reçu en cas de césarienne ou le nombre d’embryons implantés.» Dans quelques semaines, elle portera l’enfant d’un quatrième couple. «Ils m’ont choisie car je tombe très facilement enceinte. La femme, une infirmière, a eu une transplantation rénale. Impossible pour elle d’être enceinte.» La somme convenue? «De 50 000 à 52 000 dollars. Ils ont beaucoup économisé. Mes expériences positives précédentes permettent d’augmenter le prix.»
Si l’argent est un critère important, ce n’est pas l’unique argument qui peut la décider à dire oui à un projet de bébé. Dawn raconte son refus de devenir mère porteuse pour un célibataire. «Il venait de New York et écrivait des scénarios pour le cinéma. En l’écoutant, j’avais l’impression qu’il faisait une liste de tout ce qu’il avait déjà accompli. Ne manquait plus que l’enfant. Il en parlait sans amour. De plus, il avait l’intention de voyager avec le futur bébé et d’engager une nounou. Pauvre enfant…» Sa quatrième GPA sera la dernière. Son mari et ses enfants lui réclament un petit frère ou une petite sœur. «Cette fois, ce sera le tout dernier bébé. Des jumeaux, ce serait parfait…»

Expérience forte
Si la motivation de Dawn est principalement pécuniaire, celle d’Amy Morgane, 38 ans, est elle plus philanthropique. Divorcée et mère de deux filles de 9 et 13 ans, cette coach d’une équipe de volley et esthéticienne a donné naissance à Joaquin le 25 mai dernier, pour un couple d’Uruguayens. Sa motivation? «Cela me tue que des femmes ne puissent pas avoir d’enfants, alors que c’est ce qu’elles désirent le plus au monde. Et pendant ce temps, certains délaissent leur progéniture.» Et l’argent reçu? «C’est le bonus.» Elle a les larmes aux yeux lorsqu’elle raconte ses nombreux contacts téléphoniques avec la future mère. «Elle n’arrêtait pas de me remercier et lorsqu’elle est venue me voir, elle m’embrassait et me serrait dans les bras. Je n’imagine pas un autre genre de relations avec la personne dont je porte l’enfant. C’était un sentiment tellement magnifique. Dans ces moments-là, on sait que l’on a fait la bonne chose.» Si Amy a bien expliqué à ses filles que Joaquin ne resterait pas à la maison, cela n’a pas empêché la cadette de vouloir le garder à la sortie de l’hôpital. «Elle était un peu malheureuse, mais ça a vite passé.»
Tous les enfants de mères porteuses ne vivent pas de tels déchirements. Dans le cas de Jamie Folds, son fils était trop petit pour comprendre ce qui s’est passé lorsque sa maman est revenue de l’hôpital sans son gros ventre en décembre 2010. Aujourd’hui il a deux ans et demi. «C’est pour son futur que j’ai fait cela, et aussi pour aider un couple. C’est gratifiant de lui donner la chance de ressentir l’amour d’un enfant.» Cette vendeuse de 36 ans garde un bon souvenir de son expérience. Elle aime d’ailleurs être enceinte. Sur son téléphone portable, Jamie montre la photo du garçon qu’elle a mis au monde. Est-ce facile de se séparer d’un nourrisson que l’on a porté neuf mois? «Ce n’est pas forcément facile, mais ce n’est pas si difficile non plus, car j’ai mon fils et mon lien avec lui est si fort…» Les parents, tous deux médecins dans un autre Etat, elle ne les a pas vus souvent. «Le transfert d’embryons s’est fait dans le Connecticut où je me suis rendue avec mon compagnon. C’était comme des vacances. Une chose m’a fâchée: ils ont choisi le sexe de l’enfant et je l’ai appris par le personnel médical. Je n’étais pas d’accord, mais je les ai compris. Ils voulaient continuer la lignée…» Jamie est prête à recommencer. Pour 35 000 à 40 000 dollars cette fois…

 

 

“C’est surtout les cinq dernières années que cette pratique est devenue de plus en plus populaire. Ma clientèle internationale augmente, car le cours du dollar baisse et de nombreux pays l’interdisent.»”

Charlotte Danciu, avocate DEL RAY BEACH, FLORIDE, ÉTATS-UNIS

 

 

 

Téléchargez le pdf Paru le 29/09/2011 dans l'Hebdo
La règle et les chiffres
Aux Etats-Unis, seuls six Etats permettent d’avoir recours à une mère porteuse, quel que soit son statut: célibataire, homosexuelle, en couple mais non mariée. Onze autres et le district de Colombie l’interdisent ou ajoutent des conditions supplémentaires, dont une fréquente: le mariage. C’est le cas de la Floride. Dans les 33 Etats restants, les lois sont plus vagues. Selon les statistiques de l’American Society for Reproductive Medicine (ASRM), le nombre de bébés nés de GPA a augmenté de 91% entre 2004 et 2009, passant de 738 à 1353. Ce chiffre ne comprend que les enfants nés de mères porteuses qui n’ont pas de lien génétique avec l’enfant. On les appelle gestational surrogates (mères porteuses). Les ovocytes fécondés par le sperme du mari sont ceux de l’épouse ou d’une autre femme.