Sabine Pirolt

Journaliste reporter
TENDANCE

La fin de l’élégance

Il est empâté, ses cravates sont trop longues et ses costumes bien trop amples. Analyse d’un mal fagoté par cinq pros du vêtement

Melania Trump, ex-mannequin, ne cristallise pas autant de critiques sur son style que son mari. On se demande pourquoi.(© CAMERA PRESS/WALTER MCBRIDE)

Nul besoin d’être Madame Soleil pour l’affirmer: 2017 risque d’être rude pour les amoureux de l’élégance. Entre autres. Dès le 20 janvier, exit Barack Obama et bonjour, pour de bon, Donald Trump, nouveau président des Etats-Unis. Attention, ça va faire mal aux yeux! Les professionnels du vêtement sont unanimes: le New-Yorkais manque de goût. Pire, il commet des erreurs vestimentaires grossières: ses cravates sont trop longues – elles pendent souvent entre ses jambes – tout comme les manches de ses costumes, dont la veste, qu’il ne ferme pas, est également trop longue et le pantalon trop large et porté trop bas, gros ventre oblige, ce qui déséquilibre toute la silhouette. Et Benoît Wojtenka, fondateur du site de mode et de vente en ligne BonneGueule, d’en rajouter une couche: «Lorsqu’il fait du golf, les épaules de son t-shirt sont tombantes et les manches arrivent au niveau des coudes. C’est n’importe quoi.»

Contraste avec Obama
Pauvre Donald! Lui, dont la fortune égale celle de Picsou, lui, qui pourrait tout s’acheter, lui, qui sera bientôt l’homme le plus puissant du monde, manque totalement de chic. Dead!, comme diraient les ados. En préambule, il serait tout de même honnête de reconnaître que le célèbre blond a des circonstances atténuantes: le contraste avec son prédécesseur est affreusement cruel. Barack Obama a placé la barre très haut. Jeune tailleur parisien et juré de la fameuse émission Cousu Main sur M6, Julien Scavini résume: «Il est grand, mince et possède un truc: il a le swag et est élégant en toutes circonstances. Il est à l’aise dans son corps et avec le vêtement.» Ajoutés à cela sa finesse, sa réserve et son côté sophistiqué, bref, Barack Obama a naturellement de l’allure. Le pauvre Donald, lui, en manque tout court.

Qu’est-ce que l’élégance?
Mais au fait, qu’est-ce que l’élégance? Auteur d’ouvrages sur les bonnes manières, le Zurichois Christoph Stokar, explique: «Etre élégant, c’est être bien habillé. Mais on ne doit pas voir le travail qu’il y a derrière. Cela doit paraître naturel.» Benoît Wojtenka, lui, indique que «c’est quelque chose d’harmonieux qui n’est pas facile à définir. La manière dont on se présente ne doit pas être trop voyante et ostentatoire. L’élégance, c’est être respectueux et discret». Auteur du blog Parisian Gentleman, Hugo Jacomet, vivant entre les Etats-Unis et la France avec son épouse américaine, donne une définition qui va bien au-delà du vêtement: l’élégance, c’est une attitude, une façon de s’exprimer, de bouger. «Un homme élégant n’est ni obséquieux, ni pompeux et n’a pas un sentiment de supériorité. Il sait mettre les gens à l’aise. C’est presque un art.» Aux yeux d’Hugo Jacomet, il est impossible d’être élégant et d’avoir des accès d’humeur. «Une personne qui n’a pas de self-control n’est pas élégante.» Le Français tient à souligner qu’aujourd’hui, grâce aux ventes privées, aux secondes mains ou à des sites comme eBay, acquérir des vêtements chics n’est pas une question de moyens. «J’ai vu des milliardaires qui ressemblaient à des clowns et des jeunes mecs, sans beaucoup de moyens, être élégants.»

Des costumes signés Brioni
Habillé comme un bouffon Trump? Non, quand même! N’empêche. Le futur président des Etats-Unis fait très fort. Car, comme le confirme un de ses porte-parole, le septuagénaire s’habille chez Brioni, dont les costumes valent entre 6000 et 17 0 00 dollars. Selon le site Bloomberg, la célèbre marque italienne compte également James Bond et Barack Obama parmi ses clients. Le problème? Ça ne se voit pas! Le malheureux arrive à rendre «cheap» des costumes très chers. Une prouesse, mais à l’envers.

Autre culture vestimentaire
A ce stade de déconfiture vestimentaire, miséricorde oblige, il convient tout de même de trouver un ou deux avocats du style pour plaider la cause de ce pauvre Donald. Cela tombe bien, Falco de la boutique Walpurgis Homme, à Lausanne, accepte le mandat, sans se faire prier. «Qui sommes-nous pour le juger? Trump représente un gros pourcentage des Américains. La mode aux Etats-Unis n’est pas très loin de la façon dont il s’habille. C’est une autre culture.» N’empêche, le Vaudois reconnaît que «Trump détonne» avec ses cravates trop longues, ses pantalons trop courts et ses encolures trop larges. Et d’évoquer d’autres célébrités mal fagotées, pour la défense du futur président des Etats-Unis. «Nancy Reagan faisait peur et avec Bush fils, nous avons assisté à une perte de repères esthétiques. D’ailleurs, avec l’ancien syndique de Lausanne, on n’était pas loin du Trump à la vaudoise et du cliché monstrueux.»

Cravate prolongement du sexe
Laissons-lui la responsabilité de ses propos et poursuivons la piste de la «normalité». Julien Scavini constate que Donald Trump ne s’intéresse pas aux vêtements et qu’en fait, il met un uniforme. «Il est habillé comme 90% des membres du Congrès. Les Américains aiment le confort.» Donc les vêtements qui ne serrent pas trop. De là à s’habiller une taille au-dessus, il y a un pas, tout de même, que pourtant beaucoup franchissent, selon Benoît Wojtenka. «Environ 80% des hommes s’habillent trop grand. Pour le confort mais également pour paraître plus baraque. D’autres achètent des habits sans les essayer, car c’est une corvée. Ils les prennent donc plutôt trop grands que trop petits.» De même, nombreux sont ceux qui font l’erreur de porter leur cravate trop longue, ajoute Christoph Stokar. «C’est inconscient. C’est le symbole du pénis. Je ne peux pas dire si celui de Donald Trump est long. J’ai entendu le contraire.»

Elégance démocrate
Comme l’approfondissement de cet angle semble compromis, il paraît judicieux de retourner à la silhouette donaldienne pour
faire le point: le futur président est le cousin de l’as de pique, pourtant il est habillé comme la majorité des politiciens américains, qui ne sont pas tous mal fagotés, eux. Mais qu’est-ce qui cloche donc? Au fait, peut-on être élégant et gros? La réponse est oui, selon Benoît Wojtenka. «Mais la moindre négligence, le moindre col froissé, le moindre costume mal taillé ne pardonne pas.» C’est donc ça! Pas de figures libres à la Gianni Agnelli, homme à l’élégance jamais décriée, pour l’épais Américain. Pauvre Donald! Hugo Jacomet le soupçonne de s’en ficher complètement. «Trump est l’archétype de la figure américaine de l’homme viril, macho et pour qui l’élégance n’est pas une préoccupation.» On imagine bien le politicien proclamer que c’est un truc pour les «gonzesses et les homos». Et le Français d’observer: «Clinton était un président élégant, Bush une catastrophe, Obama est élégant et Trump est une catastrophe. Peut-être y a-t-il une alternance? L’élégance n’est pas un sujet mineur. Elle reflète l’estime que vous avez de l’autre. Etre au meilleur de soi peut changer la vie. Même pour Donald Trump. On croise les doigts pour qu’il devienne un peu plus présentable…»

Une première dame premier degré
A part la première lettre de leur prénom, tout oppose Michelle Obama et Melania Trump. L’une est élégante, sobre, naturelle et sympathique. L’autre porte des robes trop courtes aux couleurs trop vives, des décolletés trop plongeants –qui montrent ses seins refaits– et est trop maquillée. Voici quelques jours, Tom Ford a annoncé qu’il refusait d’habiller l’épouse de Donald Trump. Son explication: «Elle ne représente pas forcément l’image que je veux donner de ma marque.» Benoît Wojtenka, fondateur du site de mode Bonne Gueule, constate: «Tout est au premier degré chez Melania. Ses tenues sont presque trop kitsch et romantiques, très à l’américaine. Elle est très bimbo, femme objet et soumise. C’est l’accessoire de Donald Trump.» Ancien mannequin d’origine slovène, la quadragénaire au regard froid et au sourire sans âme a un physique de magazine. C’est peutêtre bien là un des problèmes. Peu d’Américaines arriveront à s’identifier à cette femme carte de visite. Falco de la boutique lausannoise Walpurgis: «L’épouse de Trump? Elle fait peur. Elle pourrait poser pour un calendrier Playboy. Je me demande quel effet elle va produire lorsqu’elle arrivera dans une école.»

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