Sabine Pirolt

Journaliste reporter
INTERVIEW

Une Miss Suisse qui casse les schémas

Etudiante en histoire de l’art, la Fribourgeoise Lauriane Sallin profite de son titre de Miss Suisse pour faire passer des messages. Et prouver que belle ne rime pas forcément avec sans cervelle. Interview d’une jeune femme étonnante et attachante.

Lauriane Sallin

ÉTUDES Lauriane Sallin rêve de devenir archéologue. Elle adore les mythes grecs et ressent une forte émotion devant certains objets du passé.

Un mardi du mois de février, dans un café de Fribourg. Miss Suisse est en avance au rendez-vous et concentrée sur son téléphone portable. A son côté, Samuel, son chaperon et PR manager. Elle est inquiète: son chat s’est cassé la patte et elle sort passer un coup de fil. La jeune femme est grande, perchée sur des talons. Son jean taille haute est moulant et sa silhouette parfaite. Elle revient. Très vite, la conversation tourne autour des animaux et, très vite, la glace est rompue. Lauriane Sallin a la spontanéité de son âge, la générosité et la gentillesse d’une jeune femme positive.

L’ancien conseiller fédéral Moritz Leuenberger dit qu’il vous admire parce que vous vous définissez non pas par votre rouge à lèvres mais par vos propos sur le rôle de la femme dans la société. Flattée?
Oui, bien sûr. Il m’a invitée à son talkshow au Bernhard-Theater, à Zurich. Très souvent, je ne sais pas sur qui je vais tomber lors des interviews. Je me demande: «A quelle sauce on va te manger aujourd’hui?» Je dis tout ce que je pense. Je n’ai pas grand-chose à perdre. Je me sens comme le bélier dans un château fort. Je suis là pour casser les portes et affirmer: «C’est fini, l’image de la miss traditionnelle.» J’incarne tous les clichés inimaginables de la femme, mais je ne rentre pas dans les cases où l’on veut me mettre. Les premières semaines après ma nomination, mes interlocuteurs me testaient sur mes capacités intellectuelles. Ils étaient étonnés que je sois capable de répondre à leurs questions.

Quel genre de question?
Comme j’étudie l’histoire de l’art, les journalistes m’ont montré des tableaux et demandé qui les avait peints. Il y avait une œuvre de Tinguely et une autre de Picasso. Ce n’était pas très difficile.

Quels messages essayez-vous de faire passer?
Ne limitons pas une femme à son physique, ne la cataloguons pas. A un moment donné, dans ma vie, j’ai eu l’impression qu’il fallait presque choisir entre utiliser sa tête ou avoir un corps. Ça fait mal au ventre d’être moins prise au sérieux parce que l’on est une fille et que l’on est jolie. J’ai également entendu mille fois: quand tu es jolie, ça ouvre les portes. Mais ce n’est pas forcément le cas. Par moments, la beauté, ça limite. Des filles et des gars m’ont déjà dit: «La première fois que je t’ai vue, je n’imaginais pas que tu pouvais être intelligente.»

Vous êtes anarchiste aussi…
Dans mes rêves les plus fous, chacun aurait ses propres règles. L’anarchie, c’est vivre sans représentant de l’ordre. Evidemment, il faut des règles et des lois. Mais l’être humain est meilleur que ce que beaucoup de gens imaginent. A l’occasion d’un stage d’archéologie, l’an dernier en Grèce, j’ai vu des citoyens partager leur repas avec des mendiants. L’Etat ne fonctionne plus, mais les gens étaient solidaires. Moi aussi j’essaie de vivre selon ce qui me semble bien pour moi et les autres. J’aimerais, par exemple, que les gens portent les habits qu’ils veulent.

Vous ne suivez pas la mode?
J’ai une part de révolte en moi contre les codes que l’on m’impose et qui ne sont pas les miens. J’aimerais dire aux gens d’arrêter de subir les choses parce que c’est à la mode. J’ai quelque 360 robes dans mes armoires, des robes récupérées chez mes tantes ou mes cousines ou achetées dans des magasins de seconde main. Comme je fais de la couture, je les transforme. Certaines ont été fabriquées dans des tissus à grandes fleurs, d’autres ont de la dentelle ou vont jusqu’à mi-mollet. C’est hors norme et ça dérange. Mais si on est bien dans sa jupe, on assume.

Avez-vous des complexes?
J’ai des pieds hyperbizarres. Ils me font plus rire qu’autre chose, car ils sont ridicules. Mais cela ne m’empêche pas de me promener pieds nus tout le temps. Mes petits orteils ne ressemblent à rien du tout. Ils sont tout recourbés. Parfois, en hiver, comme j’ai une mauvaise circulation, ils sont tout bleus.

Quels sont vos modèles?
Frida Kahlo. Je la trouve superbelle. Les mecs autour de moi la trouvent horrible. Ils critiquent sa moustache et son monosourcil. Elle était différente et l’assumait complètement. J’admire la façon dont elle a utilisé les épreuves de son existence comme terreau pour sa création artistique. Le message, c’est que l’on peut faire quelque chose de sa vie quoi qu’il nous arrive. J’aime aussi énormément Niki de Saint Phalle. Petite, elle a été abusée par son père et a lutté à sa manière avec l’art pour s’en sortir.

Quel genre d’ado étiez-vous?
J’étais assez solitaire et je ne sortais pas trop. J’avais quelques très bons amis, que je comptais sur les doigts d’une main. J’ai une famille gigantesque avec des liens très forts. Le week-end, j’allais chez mes tantes, je refaisais le monde. J’étais révoltée par ce que la société me dictait de faire. Par exemple? A l’adolescence, ne plus jouer au foot avec les copains, comme je le faisais encore à 10 ans, comme une malade. Vers 13 ou 14 ans, à la pause, les filles s’appuient contre une barrière et discutent. Quel ennui! Ensuite, il y avait ces histoires avec les amoureux, ça me gonflait. Avec une supercopine, on continuait de jouer aux Playmobil. On faisait n’importe quoi, on mélangeait les têtes, on inventait des histoires avec des enfants schizophrènes. C’était épique. Mais, à 13 ans, on ne peut pas dire qu’on joue encore aux Playmobil.

Vous êtes croyante et vous le dites. Cela suscite-t-il des réactions?
Oui, beaucoup de réactions positives. J’ai l’impression que, aujourd’hui, c’est un problème de parler de Dieu et que si l’on ne veut pas en avoir, mieux vaut dire: «Je ne crois en rien.» Personne ne vous demandera des explications. Par contre, si vous dites: «Oui, je suis croyante», on vous répondra: «Ah oui? Mais pourquoi?»

Vous évoquez souvent la place de la femme dans la société lors de vos interviews. Que fait votre mère?
Elle est infirmière. Elle a souhaité s’occuper de ses trois enfants, mais a toujours travaillé un jour par semaine. C’est un exemple pour moi. La femme doit faire ce qu’elle veut. Je n’aimerais pas que l’on pense que je suis contre la femme qui reste à la maison.

L’indépendance financière, ce n’est pas un but pour vous?
Si un jour, je me marie et j’ai des enfants, l’idéal serait de regarder avec mon mari ce qui est le mieux pour l’équipe. J’en ai parlé avec mon amoureux. Il n’est pas fermé au fait que si je gagne assez, que l’archéologie est ma passion et que je veux continuer de travailler, il arrête son activité professionnelle. Parfois, je me demande pourquoi je me marierais.

Oui, pourquoi se marier?
Par amour! C’est un challenge incroyable de promettre à quelqu’un de l’aimer toute sa vie. A l’heure actuelle, j’imagine parfaitement rester toute ma vie avec mon ami et mener ce combat de malade avec lui.

Comme d’autres Miss Suisse, allez-vous partir aux Etats-Unis pour tenter de faire du cinéma?
Ah non, si je pars, c’est en Grèce! Ce qui est cool avec l’archéologie, c’est qu’on voyage. Il y a des choses à chercher, à creuser et à trouver absolument partout. Je ressens une émotion incroyable devant certains objets du passé.

Et, à la fin de votre mandat, serez-vous toujours avec votre ami?
Ce n’est en tout cas pas cette année qui nous séparera. Il est maçon et a fait son papier de contremaître. C’est le plus incroyable des garçons du monde. Après six ans, il m’étonne toujours.

Téléchargez le pdf Paru dans l'hebdo du 18 février 2016
LAURIANE SALLIN
Née en 1993, dans le canton de Fribourg, elle a grandi à Belfaux et étudié au gymnase à Fribourg (option arts visuels). En 2014, elle commence des études de français et d’histoire de l’art. Elle aimerait poursuivre en archéologie.