Sabine Pirolt

Journaliste reporter
Rencontre

Le psychiatre qui secoue le cocotier

Nouveau directeur médical des Services psychiatriques Jura bernois-Bienne-Seeland, l’Alsacien d’adoption a organisé un premier audit des directeurs de la clinique psychiatrique de Bellelay par les patients. Tout un symbole

Marquer les esprits et faire passer un message. Mardi 22 novembre, le plan de Yann Hodé, nouveau directeur médical des Services psychiatriques Jura bernois-Bienne-Seeland a bien fonctionné. Cet Alsacien d’adoption a convié la presse à un audit des deux directeurs de la clinique psychiatrique de Bellelay par les patients eux-mêmes, une séance qui s’est terminée par un vote de confiance.
Les questions étaient variées: faut-il forcément passer par des traitements médicamenteux? N’est-ce pas une façon de faire taire les gens? Pourquoi n’y a-t-il pas de salle de sport, de wi-fi, de machine à laver le linge? Pourquoi voit-on aussi peu de psychologues? Pourquoi, depuis mon arrivée il y a dix jours, n’ai-je vu qu’une fois un médecin, celui qui était de garde? Un de ses buts était de transmettre un message au personnel: «Les vrais chefs, ce sont les patients et nous sommes à leur service.» Son intention était aussi de donner symboliquement le pouvoir aux malades, «sinon ils ne pourront pas se reprendre en main». Arrivé le 1er août à son nouveau poste, dans une institution qui a dû licencier un quart de son personnel en dixhuit mois et qui sera privatisée dès le 1er janvier 2017, ce fils d’enseignants ne s’en cache pas: il veut secouer le cocotier. Sous ses airs doux et son sourire juvénile, ce psychiatre n’a pas la langue dans sa poche et sait où il veut aller. Il a l’intention de changer la pratique des soins.

Beaucoup de dépressions mal traitées
«La psychiatrie, ce n’est pas raconter sa vie. Ce n’est pas parce que les patients parlent de leur existence qu’ils vont aller mieux.» Voilà qui est dit. On l’aura compris, l’homme n’est pas adepte des interminables psychothérapies. Il souhaite également recentrer «les soins sur les soins», soit externaliser l’art-thérapie ou toutes les activités annexes – aller faire des courses ou boire le café avec les patients – très coûteuses lorsqu’elles sont dispensées par des professionnels. «Je veux remettre le soignant à son niveau de compétence…» Son credo? Une approche plus scientifique de la maladie et l’emploi de la thérapie cognitivo-comportementale (TCC). Depuis son arrivée, il donne d’ailleurs des formations collectives et individuelles à Bellelay, notamment pour traiter les dépressions dont la majorité, selon lui, peuvent être corrigées en 20 séances. «Il y a beaucoup de dépressions non traitées, ou pas bien traitées. On sait comment appliquer des programmes de prise en charge dans les équipes de haut niveau, mais très peu de soignants maîtrisent ces techniques dans la psychiatrie en général.» En passant, il lance une pique aux psychiatres qui ont des listes d’attente de trois mois. «Ce ne sont pas nécessairement de bons médecins. Cela veut dire qu’ils s’organisent pour que leur cabinet soit plein. S’ils font revenir leurs patients tous les mois, c’est pour le tiroir-caisse.»

Evidemment, il s’agit d’en savoir un minimum sur le patient avant de l’aider: à quel âge il a eu sa première dépression, combien il en a vécu, les traitements qui ont marché, son rapport aux médicaments. Peut alors commencer le travail de déprogrammation. «Notre cerveau est préconditionné lorsqu’on est déprimé. Le déprimé rumine toujours les mêmes pensées négatives, c’est plus fort que lui. Quels sont les signes qui déclenchent quel type de pensées? Il faut l’aider à les repérer et à déconditionner son cerveau en faisant des exercices pratiques.»

Il a connu la dépression
Né à Lille, ce passionné de maths savait à 10 ans qu’il voulait devenir médecin et à 14 ans qu’il se spécialiserait dans la psychiatrie, notamment pour comprendre le fonctionnement du cerveau. Il mène des études brillantes – une thèse en médecine, une autre de sciences en neurobiologie, un master en informatique, une maîtrise en biologie humaine option biochimie et quatre certificats de statistiques. Il passe une année à New York dans le laboratoire de la neuroscientifique Nora Volkow, rentre en France pour mettre en place ce qu’il y a appris. Lance le programme Profamille à l’hôpital psychiatrique de Rouffach, en Alsace, pour former et aider les proches de patients souffrant de schizophrénie, enseigne à Strasbourg. Forme des équipes hospitalières et se retrouve même sur le plateau de Jean-Luc Delarue, avec des patients, pour déstigmatiser la schizophrénie.
Sa carrière à Rouffach durera quinze ans. Responsable d’unité clinique, il a contribué à faire de cet hôpital psychiatrique un centre atypique de renommée internationale. «J’avais monté beaucoup de choses, créé des structures médico-sociales. Puis pour des raisons internes, beaucoup de projets ont été bloqués et je ne recevais plus de moyens. Je suis tombé en dépression.» Il choisira de prendre des médicaments pour remonter la pente. C’est durant cette période que l’infirmier-chef de Bellelay viendra lui proposer le poste de directeur médical. Outre le fait d’être éloigné de son épouse informaticienne, Yann Hodé avoue avoir hésité pour une raison qui peut paraître abracadabrante: son groupe de danse africaine en Alsace. Il en fait depuis sept ans.
«Au début, j’étais en échec toutes les 5 minutes, comme mes patients dans tous les aspects de leur vie. Aujourd’hui, lorsque je vois des débutants arriver, je me dis que j’ai progressé. Un jour, ma prof m’a même félicité car j’avais retenu le début de la chorégraphie. Je ne suis pas dupe, mais j’ai retenu son compliment tout le reste de l’année! L’effet récompense est très important pour le cerveau. On sait aujourd’hui qu’entre le bâton et la carotte, le bâton est moins efficace…»

«La psychiatrie, ce n’est pas raconter sa vie. Ce n’est pas parce que les patients parlent de leur existence qu’ils vont aller mieux» Yann Hodé

 

 

 

Téléchargez le pdf Paru le 24/11/2016
Yann Hodé

PROFIL 1961 Naissance à Lille

1985 Internat en psychiatrie

1988 D.E.A. (master) en informatique

1989 Année de recherche au Brookhaven National Laboratory (New York), dans l’équipe du Pr Nora Volkow, et thèse de médecine

2000 Thèse de sciences en neurobiologie.