Sabine Pirolt

Journaliste reporter
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L’enfant prodige de l’hôtellerie suisse

A l’heure où beaucoup d’hôteliers se lamentent, Kurt Baumgartner, propriétaire de trois hôtels à Scuol, voit la vie en rose.

SCUOL Kurt Baumgartner a emprunté 500 000 francs à sa famille pour racheter l’hôtel Belvédère (photo), alors en faillite. (©Photo Christine Bärlocher)

C’est l’histoire d’un fils de paysans qui rêvait de devenir directeur de cirque ou architecte. Plus jeune garçon d’une fratrie de cinq enfants, il a toujours dû se battre pour s’imposer. Une chance. Aujourd’hui, cet homme de 46 ans, père de quatre enfants, est propriétaire de trois hôtels à Scuol dans les Grisons: le Belvédère, quatre étoiles supérieur, le Belvair, trois étoiles, et le GuardaVal, hôtelboutique quatre étoiles avec un restaurant classé 14 points au GaultMillau. Trois établissements pour des styles de clients différents. Il est également en train de construire vingt appartements de luxe dans la même station: «Une bonne solution pour financer mes hôtels.» Avec 160 collaborateurs à plein temps toute l’année, l’hôtelier est ainsi le deuxième employeur le plus important de Basse-Engadine. Nommé Grison de l’année en février 2011, ce Lucernois, parti de rien en 1999, annonce un chiffre d’affaires annuel de 20 millions de francs. Et, alors que la semaine dernière l’Office fédéral de la statistique indiquait que ce sont les régions de montagne qui affichent la baisse la plus marquée des nuitées en 2011 – avec moins 4,4% pour le Valais et l’Oberland bernois, et même moins 7,6% pour les Grisons – Kurt Baumgartner, lui, ne déplore qu’une diminution de 1%. Pourtant, il a affaire à une forte concurrence: l’Autriche est très proche. De l’autre côté de la frontière, les acteurs du tourisme se frottent d’ailleurs les mains. L’Office autrichien de la statistique vient d’annoncer une hausse de 20,4% des nuitées pour les touristes suisses. Seuls les Allemands et les Hollandais font mieux durant la saison d’hiver.
Le secret de Kurt Baumgartner pour résister? Confortablement installé au lounge bar design de l’hôtel Belvédère, il montre, à travers les grandes baies vitrées, le panorama à couper le souffle sur les montagnes. «Une bonne situation géographique, un établissement d’une taille suffisamment grande et un bon concept architectural.» Autre point important à ses yeux: investir pour refaire les chambres et entretenir les bâtiments. «Sans investissements, pas d’innovations. Sans innovations, pas de clients. Pas de clients égale un mauvais rating et, donc, pas d’investissements. Lorsque, en 1999, nous avons racheté pour 6,3 millions de francs cet hôtel qui était en faillite, nous voulions sortir de ce cercle vicieux. Depuis, nous avons investi 70 millions de francs dans nos trois établissements. Nous avons remboursé la moitié.» Au départ, lorsque Kurt Baumgartner et son épouse Julia – une Russe qu’il a rencontrée à Saint-Pétersbourg, où il a dirigé un hôtel, et qui est responsable des réservations – se sont lancés, ils avaient en main un capital de 500 000 francs. De l’argent prêté uniquement par des proches. «Toute la famille m’a soutenu. Un oncle s’est également prêté garant auprès de la Banque cantonale des Grisons, pour un prêt de 1 million.» Il a eu raison puisque, en douze ans, les nuitées annuelles sont passées de 3’700 à 84’000. «Mais je ne peux pas devenir plus grand, car je tiens au contact personnel avec mes clients.» De fait, l’hôtelier salue nombre des ses hôtes par leur nom, pose des questions à l’un, discute avec l’autre. On le sent à l’aise dans son rôle. 60 à 80% de ses hôtes sont des clients habituels. Une majorité – 85% – est suisse, 10% sont allemands. Le reste vient du monde entier.

Besoin de liberté
Né à Lucerne, Kurt Baumgartner a d’abord achevé une formation de cuisinier avant d’entrer à l’Ecole hôtelière suisse de Lucerne, où il a obtenu son diplôme. Il enchaîne ensuite les séjours à l’étranger: au Canada, puis à Moscou, à Odessa, à Kiev et à Saint-Pétersbourg. «Cela m’a appris à improviser et à organiser…» De retour en Suisse, il travaille, notamment, pour une entreprise qui s’occupe de logistique hôtelière, puis dans un hôtel familial près du lac de Thoune. «C’est là que j’ai réalisé les limites d’un petit établissement. Il faut au minimum 100 lits pour réussir.» Il met ensuite le cap sur Arosa, où il dirige un quatre-étoiles. Mais son besoin de liberté le rattrape en 1999. «J’avais besoin d’être mon propre chef. Lorsque je suis parti en Basse-Engadine, certains m’ont demandé ce que j’allais faire dans cette région paumée. La même année, le tunnel de la Vereina s’ouvrait. Sans cette construction, je ne me serais jamais lancé. Nous sommes plus proches de tout. C’est également psychologique…»

Abos de ski et bains gratuits 
Et, alors que beaucoup d’hôteliers se lamentent et accusent le franc fort et la mauvaise conjoncture économique de ralentir les réservations, Kurt Baumgartner prend le taureau par les cornes. Cette année par exemple, il a décidé d’offrir l’abonnement de ski à tous ses clients, en plus de celui aux bains thermaux de Scuol, compris dans la réservation d’une chambre depuis quelques années. «Le but est que les Suisses restent en Suisse…» Il y a quelques années déjà, pour augmenter l’attrait de ses deux premiers hôtels, il a fait construire des passerelles qui relient directement ses bâtiments aux bains. Les clients peuvent ainsi déambuler en peignoir d’un lieu à l’autre, même en plein hiver. Evidemment, ses longs couloirs vitrés ont suscité des oppositions de certains villageois. Sans conséquences. «Je suis content d’avoir fait faire ces travaux voilà sept ans. A l’époque, les autorités étaient de mon côté…» L’avenir? «Continuer sur ma lancée, sans viser des profits maxima à court terme, car dans dix ans, je serai toujours là. J’ai intérêt à assurer à long terme…»

Téléchargez le pdf Paru le 01/03/2012 dans l'Hebdo
Profil

KURT BAUMGARTNER

1965 Naissance à Lucern


1992 Diplôme de l’Ecole hôtelière suisse de Lucerne

1995 Mariage avec Julia.

1999 Achat du Belvédère

2004 Achat du Belvair

2009 Achat du GuardaVal.