TRIO Julien Houser entouré de son apprenti Logan et de son assistant Antonio. Le poulain qu’ils tiennent marchait sur la couronne de son sabot. Le Fribourgeois l’a sauvé grâce à des prothèses «maison».
A peine arrivé à destination dans cette campagne gruérienne où le soleil brille ce matin-là, Julien Houser saute de sa camion- nette. Il s’est parqué devant l’un des bâtiments de la Baumetta, les écuries de la famille Lieb- herr, vaste domaine que l’on aperçoit de l’auto- route qui relie Fribourg à Vevey. A sa suite, son employé Antonio et son apprenti Logan déploient les portières latérales et arrière du véhicule. Comme par magie, la camionnette est transformée en un atelier de maréchalerie. Les deux Jack Russel de Julien Houser font comme chez eux, reni ant mille et une odeurs. Ils connaissent bien les lieux, car leur maître vient toutes les cinq semaines s’occuper des sabots de No Mercy, un hongre de 17 ans qui a participé aux JO de Pékin en 2008. Comme les ongles, les pieds poussent en permanence. Le ferrage peut les abîmer et leur donner, au l du temps, une fausse direction. D’où l’importance du savoir- faire du maréchal-ferrant.
Rencontre déterminante
Fils de garagistes, Julien Houser, 32 ans, a grandi en France, à deux pas de la frontière suisse. «Je venais passer mes vacances au Lan- deron où j’avais de la famille. Et je montais à cheval dans la région.» A 18 ans, il gagne La Côte pour y suivre son apprentissage de maréchal- ferrant pendant quatre ans chez Florian Hauser. Le jeune homme met ensuite le cap sur l’Irlande, dans les écuries d’Andrea Etter. Au bout d’un an, il revient en Suisse, dans le canton de Berne, chez des marchands de chevaux à Müntsche- mier. «J’y ai fait la connaissance du monde du sport et de la compétition.» C’est en accompa- gnant, toutes les six semaines, deux chevaux de ses employeurs chez Stefan Wehrli, un maré- chal-ferrant près de Saint-Gall, que sa carrière a connu un «tournant». «Quand je l’ai vu œuvrer, je me suis dit: ou je suis nul, ou il est fou. Il met- tait une telle passion dans son travail et faisait preuve d’un tel instinct dans sa façon d’appré- hender les choses. Le Saint-Gallois a d’ailleurs appris son métier chez Ric Redden, un vétéri- naire américain qui est également maréchal- ferrant.» Stefan Wehrli ne s’occupe alors que de chevaux qui ont des problèmes de pieds.
De cette rencontre entre les deux hommes naît une amitié. Julien Houser apprend ainsi beaucoup au contact de Stefan Wehrli. Et fait nombre d’essais chez les marchands bernois qui l’emploient «Je n’aurais jamais pu acquérir autant d’expérience si j’avais été directement à mon compte.» Puis, au bout de trois ans, le jeune homme monte sa petite entreprise. «J’ai eu tout de suite beaucoup de chevaux de saut grâce au bouche à oreille. Je ne ferre jamais à plat, comme la plupart de mes confrères. Je donne une bonne mécanique au fer a n d’enlever un peu de pression sur le talon et d’améliorer le départ du pied.»
Des problèmes de pieds, No Mercy en a aussi: son antérieur droit est légèrement plus long que celui de gauche. Quant à ses pieds arrière, la corne de part et d’autre de la fourche n’est pas symétrique. «Tous les chevaux ont quatre pieds différents. Chez lui, c’est encore plus marqué.» Premier geste: curer les sabots.No Mercy est ensuite prié de quitter son box. Antonio le mène sur la petite route devant l’écurie. Il le fait marcher, puis trotter. Accroupi et concentré, Julien Houser observe l’animal. Quelques minutes lui suffisent: «C’est OK!» Cette brève mise en jambes est avant tout une précaution de sa part. «Il s’agit de voir si le cheval ne boîte pas avant que je le ferre et d’évaluer sa locomotion. Avec de telles montures, il y a des enjeux: notamment d’im- portantes sommes d’argent et ma réputation.» Et si l’animal clopine? «Je téléphone au propriétaire, et au vétérinaire qui me donne des détails. Si nous ne communiquons pas, c’est la n du monde.»
Coup de main
Le travail peut commencer. La dextérité de Julien Houser est impressionnante. Ses gestes sont aussi précis que uides. Ef cace, Antonio l’assiste: il tient une jambe, prépare un outil, protège son patron lorsqu’il travaille les jambes arrière. «C’est mon assurance vie!» L’artisan enlève l’ancien fer avec une pince, après avoir ouvert les rivets, puis à l’aide d’une rénette, nettoie la partie la plus molle du sabot. Suit la séquence parage: il coupe l’excédent de corne qui a poussé. «C’est la phase la plus importante.» La boîte cornée du cheval n’est en fait que le sommet de l’iceberg. Elle englobe des tissus vivants, des structures osseuses et des ligaments. Il saisit ensuite la râpe, un outil qu’il doit changer chaque semaine, usure oblige. «Je laisse toujours beaucoup de pied, pour garder une marge de sécurité.»
Son apprenti a déjà préparé le fer à cheval, il est en acier, comme la majorité de ceux que Julien Houser pose. D’autres sont en aluminium. Tous ont une même forme. C’est au profes- sionnel de l’adapter au pied de son «client». Il en meule d’abord les éponges, soit les deux coins, pour éviter toute blessure, puis le met dans un petit four à gaz. La température atteint 900 degrés, le fer en sort rouge. Son marteau à la main, le Fribourgeois le façonne: «Je lui donne sa forme puis, dans un deuxième temps, son «rolling», soit le déroulé du pied.» Il le pose alors sur le sabot de la monture pour contrôler la précision de son travail. «Le rolling doit débuter sur l’axe de la phalange.» Impression- nant: Julien Houser n’a rien mesuré, c’est son œil qui a tout calibré. Suit encore le brochage, soit la xation du fer avec des clous. «J’en mets de cinq à sept, suivant la place. Il faut être pru- dent, c’est une phase qui demande beaucoup de «sentiment». Un clou peut faire pression sur les terminaisons nerveuses. Le cheval ne réagira pas, mais un début d’abcès pourrait se former. Quand certains chevaux ne supportent pas le ferrage traditionnel , alors nous collons.» Derniers gestes: couper les clous, les replier et leur donner un dernier coup de lime – pour que les gens qui s’occupent des animaux ne se blessent pas – et, en n, étaler une couche de vernis durcisseur sur tout le pied. Antonio fait encore marcher No Mercy pour que Julien Houser puisse contrôler que tout soit parfait. Nonchalant, le hongre réintègre son box. Le prix de sa «manucure-pédicure» de ses quatre membres? 250 francs. Moins cher que pour Madame…