Sabine Pirolt

Journaliste reporter
Interview

“L’idéal est de marcher pieds nus”

Le célèbre bottier suisse Walter Steiger travaille pour les plus grands stylistes. Une rétrospective du photographe Helmut Newton met ses créations en lumière.

TALENT. Helmut Newton a immortalisé une des créations du Suisse Walter Steiger, fils de cordonnier devenu célèbre et qui possède douze boutiques dans le monde entier.

Les hauts talons sont de retour, vous confirmez?
Oui, et ils n’ont jamais été si hauts. Lorsque l’on regarde la fameuse photo d’Helmut Newton – que la rétrospective au Grand Palais de Paris met actuellement en lumière – le talon ne paraît pas haut. Dans les années 80, il l’était. Aujourd’hui, grâce aux plateformes, les talons ont pris des centimètres. Alors qu’à l’époque, tout le monde portait des chaussures élégantes du matin au soir, aujourd’hui on marche en baskets durant la journée et l’on chausse ce genre d’escarpins le soir.

Quelle est la hauteur maximale si l’on désire faire plus que quelques pas dans une soirée?
Il est possible de gérer une hauteur de 10 centimètres. Au-dessus, cela devient difficile. Avec une plateforme de 5 centimètres, on peut arriver à une hauteur de 15 centimètres. Mais si vous me demandez quelle est la hauteur parfaite, je répondrais que l’idéal, c’est de marcher pieds nus. Certaines clientes disent que leur talon de prédilection mesure 4 à 5 centimètres. D’autres affirment porter 10 centimètres sans problèmes. Le talon idéal est celui avec lequel on aime marcher.

Beaucoup de femmes disent que cela fait mal aux pieds…
Beaucoup d’autres disent qu’elles n’ont pas de problèmes. C’est une question d’habitude. Si quelqu’un marche toujours avec des chaussures plates et se met soudainement à porter des talons de 10 centimètres, cela risque de poser un problème. Marcher avec des talons, cela s’apprend. C’est comme le patin à glace: on n’y arrive pas du premier coup. J’aimerais ajouter que nous nous donnons de la peine en essayant constamment d’améliorer le chaussant. Créer des chaussures, ce n’est ni technique ni mécanique. Il ne s’agit pas de faire des calculs et de les respecter pour que tout roule. Une fois que les mesures sont prises, nous réalisons tout à l’oeil. Chaque chaussure est ensuite essayée, modifiée et mise au point. Parfois le premier prototype joue, d’autres fois, il faut dix essais. C’est toujours la même personne qui fait les essais depuis vingt ans. Elle chausse du 36 et a un pied standard qui correspond aux chaussures que nous concevons. Les autres maisons travaillent avec des femmes qui portent du 37. Notre collaboratrice a tellement l’habitude d’essayer des souliers qu’elle peut tout de suite nous dire à quel endroit cela serre, où le soulier est trop long ou trop court.

Pourquoi porter des hauts talons?
Parce qu’ils mettent la jambe en valeur en la rendant plus élancée. Une femme qui a de longues jambes est élégante. C’est ce que l’on remarque et ce qui fait la différence. Sa démarche n’est pas la même qu’en chaussures plates: on ne roule pas le pied avec des talons, on marche sur la pointe des pieds. L’allure générale est influencée.

Et cela fait encore et toujours fantasmer les hommes?
Peut-être, mais je pense que cela plaît surtout et avant tout aux femmes. Elles aiment avoir une silhouette plus allongée, une jambe plus galbée. Du moment qu’une femme plaît à un homme, peu importe si elle porte des talons hauts ou plats.

Une femme qui porte des talons et qui dépasse son mari ou son compagnon, est-ce entré dans les mœurs?
Oui, je pense. Qu’une femme soit plus grande ou plus petite que l’homme, ce qui compte, c’est qu’elle ait de l’allure. Les grandes n’hésitent plus à porter des talons hauts, il n’y a plus de tabous en la matière. Une dame qui chausse du 40, cela ne gêne plus personne, alors qu’il y a quelques dizaines d’année, l’idéal, c’était d’avoir de petits pieds. Je trouve d’ailleurs qu’une grande qui porte des talons, c’est magnifique. Une petite aussi. Il faut que cela soit proportionné. De même, le talon n’est pas le même pour un escarpin pointure 37 ou 42, entre ces deux tailles, il peut y avoir 1 centimètre de différence. La chaussure grandit dans tous les sens.

Comme les jupes, la hauteur des talons suit-elle l’évolution de la conjoncture?
On disait cela dans les années 60: plus les jupes raccourcissaient – signe de conditions économiques favorables – plus les talons diminuaient et plus les jupes se rallongeaient, plus les talons prenaient de la hauteur. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, il n’y a plus de règles. Lorsque j’ai commencé, dans les années 60 justement, la mode était aux talons hauts, 8 centimètres au moins. Mais très vite est arrivée l’époque des chaussures plates avec Courrèges. On disait: «La femme s’émancipe, elle ne portera plus de talons hauts.» J’étais convaincu que ce serait le cas. Mais heureusement, la mode a changé et j’en suis bien content.

Les hommes se sont mis aux cosmétiques et la chirurgie esthétique. Enfileront-ils un jour des talons hauts?
Je ne pense pas, ou alors le monde se transformera complètement. Les chaussures ne changent pas beaucoup pour les hommes. Un bon modèle peu facilement avoir 40 ans.

Et vous, avez-vous déjà marché avec des hauts talons?
Cela m’est arrivé lors de l’inauguration de l’un de mes magasins, en fin de soirée. Nous avions bu du champagne et j’ai enfilé des escarpins pour rire. C’est vraiment différent de marcher haut perché.

 

 

MARCHER AVEC DES HAUTS TALONS, ÇA S’APPREND

Felicia Widmer donne des cours pour apprendre à marcher avec des talons hauts. Reportage à Zurich.

Un lundi soir du mois de mai, au bar Eldorado de la Limmatstrasse, près de la gare de Zurich. Pieds nus, une douzaine de femmes ont le regard rivé sur les fesses de Felicia Widmer, fine quinquagénaire, blonde et classe. Les mains posées sur son postérieur, cette ancienne danseuse enfonce ses talons dans le sol. «Le Gluteus maximus est notre plus grand muscle et, en plus, il est double. Il donne de la tenue et du maintien. Serrer les fesses en marchant, c’est l’assurance d’avoir une belle démarche, d’être sexy et sûre de soi.» Jeunes et moins jeunes, les participantes l’imitent. Elles sont venues là pour apprendre ou réapprendre à marcher en hauts talons.
Voici quatre ans, Felicia Widmer a lancé «Gehen in Highheels» en observant la démarche discutable de plus en plus de femmes perchées sur des talons. Depuis, ses cours ne désemplissent pas. «Allez, enfoncez les talons dans le sol, serrez les fesses, dos droit, regardez devant vous, décontractez vos épaules! La vie est belle, non?» Euh, en chaussettes oui. Le moment de vérité est arrivé. Les participantes enfilent leurs stilettos ou même leurs cuissardes. Je viens d’acquérir une paire d’escarpins vertigineux. Le ridicule ne tue pas, mais l’honneur des Welsches est en jeu.
Heureusement, toutes sont concentrées sur leurs pieds. Les exercices, c’est en musique. Les participantes s’élancent au rythme de Just Help Yourself. Qui l’eût cru, marcher en contractant les fesses et en décontractant le haut du corps demande de la concentration. Adieu démarche insouciante. Les participantes déambulent en cercle. L’une d’elles semble avancer sur des œufs, une autre a adopté une démarche de héron. Felicia observe. Pause. Petits sandwichs, champagne et eau minérale. Stéphanie, une laborantine de 30 ans et Tamar, ingénieure de 29 ans se désaltèrent. La première est venue «à cause des hommes. Je suis toute la journée en Crocs, je ne sais pas marcher avec des talons». La deuxième suit le cours pour son ami qui «trouverait bien qu’elle porte des hauts talons». «J’aimerais améliorer ma démarche et, surtout, obtenir des trucs pour que cela fasse moins mal.» A part choisir une chaussure de bonne qualité et bien adaptée, pas de miracles!

Pour franchir l’obstacle des pavés par contre, Felicia conseille de marcher sur la pointe des pieds. Et pour les longues soirées debout, il suffit de plier les jambes, d’appuyer son genou contre l’arrière de son autre genou et d’alterner cette position. Astucieux! L’enseignement reprend. Felicia cite Marilyn Monroe: «Les talons rendent une femme 50% plus sûre d’elle et 100% plus sexy.» Elle enchaîne: «On peut ensorceler un homme en balançant les hanches. Regardez les femmes du Sud, elles bougent à la perfection, alors que celles du Nord ont les hanches comme prises dans du béton.» Sur place, les bras levés au-dessus de la tête, Felicia ondule dans un mouvement naturel. Les participantes l’imitent. Grimaces concentrées sur les visages. Derrière le bar, le serveur fait semblant de se concentrer sur l’écran de son ordinateur. Heureusement, il n’y a pas de miroir. Mais il y a pire: le regard des autres. Justement, Felicia propose que chacune défile devant les autres. Moment de flottement. Une femme se lance. Les participantes sont clémentes. Felicia un peu moins. «Elle fait de trop petits pas.» Une deuxième a les épaules trop en arrière, une troisième n’a pas assez d’énergie, une quatrième est trop recroquevillée, une cinquième bouge trop les bras, une sixième n’a pas les genoux assez souples.
Je m’élance avec un immense sourire pour détourner l’attention de mes pieds. Ça marche, les autres trouvent la démarche «décontractée». Felicia, elle, n’est pas tombée dans le piège: «Vous n’avez rien remarqué?» Silence. «Elle fait de trop grands pas!» Chère Felicia, n’est pas Marilyn qui veut…

 

Entraînement Avant de chausser de vertigineux escarpins, la méthode de Felicia Widmer s’apprend pieds nus.

 

Téléchargez le pdf Paru le 10/05/2012