Sabine Pirolt

Journaliste reporter
MODE

Le dirndl prend un coup de jeune

Munich inaugure ce week-end sa traditionnelle Oktoberfest. Mais pas de Fête de la bière sans dirndl. Chic, ethno ou glamour, ce costume typique a su se réinventer. Portrait de Lola Paltinger, la papesse du genre.

Quand le dirndl prend un coup de jeune

Le modèle pose avec un ensemble dirndl couture en coton et laine noire brodée de tafetas et agrémenté d’une ceinture en soie lilas. (© MARTIN NINK)

The Seven, complexe immobilier le plus onéreux de Munich. A l’accueil, une hôtesse renseigne les visiteurs. «Pour la styliste Lola Paltinger? Suivez le couloir, tournez à droite, entrez dans la cour, allez à l’entrée E et pressez la sonnette «showroom.» Exécution. La cour, ses arbres et son étendue d’eau sont grandioses. Les escaliers qui mènent au deuxième étage sont en marbre. Une haute porte blanche s’ouvre sur le fameux showroom: Willkommen dans le monde de la papesse du dirndl!

Tenue de campagne
A Munich, septembre rime avec Oktoberfest, la plus grande fête populaire du monde; le début du mois est la dernière ligne droite pour les commandes. Plus que quelques jours avant le lancement officiel des festivités. Et si la principale vedette de ces quinze jours de liesse est la bière, une autre star fait, elle aussi, tourner les têtes: le dirndl, qui met la silhouette féminine particulièrement en valeur. Ringard ce costume aux airs campagnards? Plus tant que ça. Des stylistes allemandes se sont emparées de ce vêtement pour lui redonner un coup de jeune. Parmi elles, Lola Paltinger, 44 ans.

Courte jupe verte dont le bord est brodé de perles et pull-over noir, la styliste est grande, mince et bronzée. Il est midi ce mercredi et elle est au téléphone, en train de régler quelques détails pour un dirndl réalisé par les couturières de son atelier de Nürnberg, à 170 kilomètres de là. La cheffe de sa petite équipe, qui travaille depuis douze ans pour la Munichoise, connaît ses créations sur le bout des doigts. En cette période de l’année, Lola Paltinger a dû augmenter ses effectifs. «Normalement, trois employées travaillent pour moi, à plein-temps, mais avant la fête, elles sont huit. Depuis cinq semaines, je cherche à engager une professionnelle supplémentaire, mais c’est impossible à trouver.» Dans le showroom, des dirdln par dizaines, sur des présentoirs et dans des armoires aux portes vitrées. Mélange de soie et de lurex, avec un soupçon de polyamide, les tissus ont une belle tenue. Ils sont à pois, à fleurs ou à motifs comiques. Quelques pièces plus sobres, en lin beige, attirent l’œil dans ce fastueux festival de couleurs.

Affaire de famille
Talons et robe près du corps, l’air affairé, une élégante dame déplace et range des vêtements. Il s’agit de Brigitte, la mère de Lola Paltinger. Couturière de formation, cette octogénaire collabore avec sa fille depuis dixsept ans. De fait, pour la quadragénaire, tout a commencé en 1997, après trois ans d’étude à l’ESMOD de Munich, soit l’Ecole supérieure internationale de la mode. Pour son travail de diplôme, elle choisit de dessiner une collection de costumes bavarois. «J’ai respecté la tradition tout en la modernisant et en amenant des détails amusants.» Le défilé a lieu à Berlin devant un jury international. Bingo! Elle décroche le prix du stylisme et passe sur les chaînes de télévision. «A la suite de cette récompense, beaucoup de gens m’ont demandé où on pouvait acheter mes costumes. Puis, des marques m’ont contactée pour me proposer de travailler pour elles. C’est là que je me suis dit: «Tiens, tiens, il y a un marché…»

Mais la jeune femme préfère parfaire sa formation. Elle décroche un stage de six mois à Londres chez Vivienne Westwood et un autre à Stockholm, chez H&M. De retour en Allemagne, elle propose à sa mère, qui habite Mannheim, de venir l’aider à monter sa petite entreprise de dirndl, à Munich. «Maman est une couturière hors pair. La couture, ce n’est pas trop mon truc. Mon point fort, c’est le design. Nous nous complétons.» Les premiers dirndls, elles les cousent ensemble, dans un modeste appartement, non loin de leur prestigieuse adresse actuelle. Lola Paltinger: «Je réalisais les blouses et elle s’occupait de la coupe. C’est elle qui a eu l’idée de faire les jupes en forme de cloche, comme dans les années 50, alors que le modèle traditionnel est droit.»

Tout va alors très vite. La presse parle de Lola Paltinger qui dépoussière avec tendance ce classique imaginé au XIXe siècle pour les citadines en villégiature dans les Alpes bavaroises. La jeune styliste ose les brocarts asiatiques, les imprimés humoristiques, les blouses en organza vert, alors que l’usage les veut en coton blanc. Petit à petit, la jeune femme crée son réseau de fournisseurs. Beaucoup de tissus, qui sont réalisés uniquement pour elle, viennent de la région de Côme, en Italie. Pour certains modèles, c’est en France qu’elle fait peindre des tissus. Quant aux sublimes broderies qui ornent les corsages – des baleines y sont cousues pour plus de maintien – et les tabliers, elles sont réalisées à la main par des brodeurs professionnels à Bombay, à partir de dessins réalisés par la styliste. «Ainsi, personne ne peut me copier», explique l’Allemande qui vit de son activité depuis 2003-2004.

Kardashian la Bavaroise
Evidemment, l’exclusivité à un prix. Il faut débourser quelque 3000 euros pour une création. Ces dirndls première classe ont trouvé une clientèle – plutôt haut de gamme et très internationale – qui représente quelque 700 personnes. Des femmes d’affaires, mais également des épouses d’industriels ou même des Américaines débarquent dans son showroom. Certaines viennent en voisine, de Zurich ou de Gstaad. «Nous connaissons toutes nos clientes et ne vendons pas deux dirndls identiques pour la même manifestation. Durant la Fête de la bière, énormément d’entreprises organisent des soirées privées et les femmes y vont en costume traditionnel, un vêtement qu’elles portent aussi à d’autres occasions.» Il arrive que certaines comprennent un peu tard qu’elles n’ont rien à se mettre quelques semaines, voire quelques jours avant les festivités. «Nous sommes en mesure de leur livrer un dirndl à leur mesure en 24 heures. C’est du travail express. Mais les gens attendent ça de notre part.» Ses clientes les plus célèbres? «Paris Hilton, pour laquelle j’ai dessiné un dirndl couleur or et Kim Kardashian, une femme pas compliquée qui est venue en 2006 et en 2011 dans mon atelier. Evidemment, j’ai dû adapter le modèle à ses formes: taille fine et grosse poitrine. Il faut savoir une chose: le dirndl flatte absolument toutes les silhouettes. Je dirais même qu’il avantage plus les rondes que les trop minces, décolleté oblige.» Le dirndl? Le vêtement miracle.

Romantique, sexy-kitsch ou à l’africaine
Porter un dirndl est un must durant la Fête de la bière. A Munich, à l’approche des festivités, ces robes à tablier, jupon et corsage fleurissent dans les vitrines et sur les panneaux publicitaires de toute la capitale bavaroise. Les stylistes munichoises sont d’ailleurs nombreuses à lancer leur marque. Sabine Deml de Shedoes Tracht (comprenez «Elle fait des costumes») donne dans le style romantique, Sarah Tack de Dirndl Liebe fait dans le coloré, Angelika Zwerenz de Dirndl Punk se la joue sexy kitsch et Daniela Tobik de Froschgoscherl propose des modèles simples et joyeux.

Parmi tous ces labels, Noh Nee Dirndl à l’Africaine, crée par Rahmée Wetterich et Marie Darouiche, bouscule les traditions et propose des dirndls fabriqués en wax, ces tissus d’origine indonésienne qui servent à confectionner les boubous africains. Il fallait oser. Les deux sœurs d’origine camerounaise l’ont fait. Le résultat? Des créations élégantes, belles et contemporaines qui peuvent se porter au quotidien. «Nous sommes dans la transformation de la culture», remarque Rahmée Wetterich. Quelques corsages ont même troqué les lacets et les boutons pour une fermeture éclair. Mais la petite révolution, c’est l’absence du traditionnel tablier. Rahmée Wetterich, designer d’intérieur de formation, explique: «Aujourd’hui les femmes se sentent ridicules en tablier, elles ne veulent plus en porter.» Mais comme le ruban de cet accessoire donne de précieuses indications – les célibataires le nouent à gauche, les femmes mariées ou engagées à droite et celle qui portent le nœud au milieu sont indécises – Rahmée Wetterich et Marie Darouiche ont décidé d’ajouter une ceinture ruban à chaque tenue. Autre changement: les deux Allemandes d’adoption ont remonté les décolletés, pour que les dirndls puissent se porter sans blouse. «Les femmes ne sont plus dans cette tendance cheap qui consiste à monter leurs seins. Elles n’ont pas besoin de ça pour être sexy.» Fondée en 2010, la petite entreprise emploie dix personnes et a lancé des collaborations avec le Bénin, pour des projets humanitaires. La clientèle vient de l’Europe entière. Il y a quelques jours, une blogueuse de mode a demandé à la PME de lui prêter un dirndl pour se rendre à la Fashion Week de New York.

 

«Le dirndl flatte  absolument toutes les silhouettes. Je dirais même qu’il avantage plus les rondes que les trop minces, décolleté oblige» LOLA PALTINGER, STYLISTE