Sabine Pirolt

Journaliste reporter
Reportage

L’amour est vraiment dans le pré

Louer un taureau pour saillir les vaches d’un troupeau est de plus en plus à la mode. «L’Hebdo» est allé à la rencontre de Gospel, un limousin d’une tonne. «Il est calme, il fait le boulot quand il doit le faire», assure un professionnel, satisfait des perfomances de l’animal.

image taureaux

UN TAUREAU AU TAQUET. Gospel va de canton en canton, passe plusieurs semaines au sein de chaque troupeau de vaches visité.

Ce premier vendredi d’août à Mont-Soleil, dans le Jura bernois, Karina, Kiléa, Koréa et leurs copines semblent avoir le cœur gros. Même le veau Domino a un air dépité. Gospel, beau taureau limousin de 5 ans a terminé sa mission de trois mois. Roland Stoller et son employé Jürg Stegmann, un jeune agriculteur de la région, viennent de le séparer du reste du troupeau. Le camion chargé de l’emmener vers sa prochaine destination doit arriver d’un moment à l’autre. Comme Tarzan, Gregor, Nico ou Samuel, Gospel fait partie de l’équipe des 250 taureaux de location de la maison Vianco, sise en Argovie. Responsable du bétail de rente, Urs Jaquemet explique: «La location est de plus en plus à la mode dans le milieu agricole. Nous ne faisons pas de publicité. Le bouche à oreille suffit.»

De fait, rien ne vaut l’odorat d’un taureau pour reconnaître qu’une vache est en chaleur. Et agir. L’ovule n’étant fécondable que durant douze à vingtquatre heures, l’insémination artificielle demande beaucoup d’observation et davantage de préparatifs, puisqu’il faut rentrer la vache, l’attacher et la manipuler. La location d’un taureau coûte 300 francs pour deux mois – durée de séjour minimale – puis 100 francs supplémentaires par mois. L’agriculteur peut rendre la bête lorsqu’il en a envie. Une telle location est rentable pour les propriétaires de troupeaux d’une vingtaine de vaches, vu le prix d’une insémination – soit de 50 à 60 francs – par animal.

Gospel se fiche bien de ce genre de préoccupations humaines. Ses compagnes s’approchent de l’enclos dans lequel il est enfermé pour le renifler une dernière fois et lui tenir compagnie. Il est calme. Un autre troupeau l’attend à Remaufens, dans le canton de Fribourg. Des missions, ce beau limousin en a un sacré paquet au compteur. Vingtsix plus précisément. De Courgenay (JU) à Lumbrein (GR) en passant par La Sagne, il a déjà fait le tour de la Suisse (lire ci-dessous). Alors les adieux, il a l’habitude. Le camion arrive. Jürg Stegmann et le chauffeur installent des barrières qui le guideront jusqu’à la bétaillère. Ils ouvrent l’enclos. Gospel fonce sur la rampe, arrive dans la remorque, tourne plusieurs fois sur luimême. Sa tonne de muscles fait tanguer le véhicule. Pas de doute, Karina et les autres ont croisé un sacré athlète de la reproduction. Outre ses 99 descendants légitimes, ses notes, attribuées par des professionnels selon un modèle idéal, parlent pour lui: 89-91-89. La première note évalue son gabarit, la deuxième sa musculature et la troisième ses membres. Les notes jusqu’à 85 points sont considérées comme bonnes, celles jusqu’à 90 comme très bonnes et celles qui vont au-delà comme excellentes. Mais dans le milieu taurin, c’est un peu comme chez les humains. Urs Jaquemet: «Les bonnes notes sur l’apparence physique n’assurent pas la performance. Si un taureau est beau et ne fait pas son travail, les paysans ne seront pas contents.» Gospel, lui, a donné entière satisfaction. Roland Stoller: «Je l’ai loué, car je n’ai que sept vaches. Un taureau va mieux s’il est occupé. Ce ne serait pas le cas si j’en possédais un.»

Torrides, les taureaux
En la matière, tout est question de tempérament, et certains sont plus zélés que d’autres. «Il y en a des chauds et des moins chauds, a constaté Urs Jaquemet. Certains le font une fois, d’autres toute la journée. L’acte dure environ cinq secondes. Avec l’âge, vers 9 ou 10 ans, certains taureaux en ont un peu marre. Ils deviennent sélectifs et choisissent les femelles qu’ils veulent saillir. Pour celui qui loue un tel animal, ce n’est pas très drôle.» Mais foin de jeunisme dans la profession, ceux qui imaginent que les éléments frais émoulus sont plus performants se mettent le doigt dans l’œil. Urs Jaquemet détaille: «Les tout jeunes ne savent pas comment ça fonctionne. De plus, certains, qui sont plus petits que les vaches qu’ils ont l’ambition de saillir, versent sur le dos pendant l’acte et se cassent la queue. Celle de derrière, évidemment.» Et Gospel? «Il est calme. Il fait le boulot quand il doit le faire.»

Les mâles les plus demandés sont ceux âgés de 11 ans. Il leur reste alors, en moyenne, trois ou quatre ans de carrière devant eux avant de terminer en tartare, en viande séchée ou en hamburger. Mais, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, le pire ennemi de ces reproducteurs n’est pas l’âge mais le poids. Un taureau d’une tonne qui saillit des génisses de 400 à 500 kilos, «ça peut poser des problèmes dans la mécanique», selon Urs Jaquemet. De plus, un animal trop volumineux ne pourra pas occuper une couchette pour les vaches, ce qui pose problème. Un gabarit trop imposant pourrait alors signifier la fin des plaisirs terrestres et un ultime voyage direction Vianco. Mais le retour chez l’employeur n’est pas forcément fatal. Les collaborateurs bovins y séjournent souvent aux mois d’octobre et de novembre, quand le travail sur appel vient à manquer. Il arrive également que, entre deux missions, un taureau retourne dans l’entreprise pour une pédicure. «Nous avons un stand de contention. Les pieds de la bête sont fixés. Les vrais professionnels travaillent avec une meule.»

Le temps est venu de démarrer. Les déplacements, ce n’est pas une partie de plaisir pour Gospel. Rester enfermé des heures dans un petit espace, alors qu’il vient de passer trois mois au grand air, ça rend nerveux. Un dernier coup d’œil à travers une des lucarnes latérales de la bétaillère en direction de ses excompagnes, un ultime beuglement, et c’est parti.

Falballa renifle le camion
Il est 13 h 15, ce premier samedi d’août, et le soleil joue à cache-cache derrière les nuages, là-haut sur la montagne, audessus de Montreux. Agriculteur de 41 ans, Gabriel Villard s’apprête à ouvrir la porte de sa remorque à bestiaux. A l’intérieur, Gospel, qui est arrivé la veille dans la ferme de l’agriculteur, à Remaufens. L’homme et la bête ont alors fait connaissance. L’éleveur a mis une heure pour le conduire dans les pâturages de Chessy, qu’il afferme pour son troupeau. Curieuses, Océane, Vanina, Diane, Falballa, Binocle et toutes les autres reniflent le camion. Visiblement, Gospel n’a pas perdu au change. «Ces demoiselles l’attendaient depuis une semaine» rigole ce père de famille qui loue un taureau pour la première fois. On est tard dans la saison et il voulait une bête expérimentée pour couvrir sa trentaine de génisses. Le fermier ouvre la porte arrière qui se transforme en rampe. Gospel regarde autour de lui, relax. En vrai pro, il sort calmement du camion. Très vite, son troupeau l’entoure. Tout le monde renifle tout le monde. Sa mission peut commencer.

Gabriel Villard évoque son dernier taureau, Fabuleux, auquel il s’était attaché, mais qui a fini en saucisses, en raison de problèmes aux pattes. S’attacher à un taureau, ça se traduit comment? «On le garde deux ans de plus qu’il ne faudrait. On lui donne un coup de kärcher sur le dos, de temps en temps, pour lui faire plaisir. De son côté, il venait vers moi et il s’appuyait.» Mais Gabriel Villard reste toujours sur ses gardes. «Manipuler un taureau, ce n’est pas anodin. Une bête comme ça, il ne faut jamais la taper ni la brusquer. Il te le rend un jour. C’est rancunier, un taureau.» Un tel animal peut être dangereux pour les promeneurs. Son conseil? «Il faut que les gens passent au loin, car il protège son troupeau.» Et à quoi reconnaît-il qu’un taureau a un caractère agréable? «Si je peux lui mettre la main sur le cul, c’est un bon type.»


Téléchargez le pdf Paru le 11 août 2016 dans l'Hebdo
Gospel

Né: 28 septembre 2011, vêlage facile

Poids à la naissance: 39 kg; croissance journalière: 1200 g Race: limousine

Père: Cristal

Mère: Utopie

Grand-père paternel: Talent Grand-mère paternelle: Ricorée Grand-père maternel: Satan Grand-mère maternelle: Protéine Poids actuel (estimé): 1 tonne Nombre de postes de travail: 26

Nombre de descendants légitimes: 99 (soit des bovins labellisés Vache Mère Suisse, donnant de la viande Natura-Beef, Natura-Veal ou SwissPrimGourmet)

Tempérament: très calme Défauts: aucun