Sabine Pirolt

Journaliste reporter
Tourisme

Winston Churchill à Riederalp

De 1904 à 1913, Winston Churchill a séjourné quatre fois à la Villa Cassel, au-dessus du village, profitant du calme des montagnes pour écrire la biographie de son père, homme politique lui aussi. Il a même failli tomber dans un précipice avant d’être retenu in extremis par une jeune Valaisanne.

RIEDERFURKA La Villa Cassel se situe à quelques pas du glacier et de la forêt d’Aletsch.

«J’ai laissé passer une semaine pour pouvoir te décrire le plus exactement possible l’impression que me fait ce lieu. Il est splendide. Je dors comme une marmotte et je me sens en pleine forme. Les conditions, en effet, sont merveilleuses. (…) Une demeure qui trône sur un gigantesque éperon montagneux de 700 pieds de haut couronnée par les plus célèbres sommets enneigés de Suisse. L’air est pur et le temps est magnifique.» Voilà les premiers mots que Winston Churchill écrit à sa «très chère maman», Lady Randolph Churchill, en ce 22 août 1904. C’est la première fois qu’il séjourne à la Villa Cassel, au-dessus de Riederalp. Son si cher ami, Sir Ernest Cassel, un banquier anglais que son médecin avait envoyé dans la région, était tombé sous le charme du glacier et de la forêt d’Aletsch. Il logeait alors dans le modeste Hôtel Riederfurka, qui existe toujours. C’est au printemps 1900 que commencèrent les travaux de construction de son étonnante villa de quatre étages. En 1902 déjà, Ernest Cassel put y séjourner pour la première fois.

Féerique apparition
Le temps a passé, les vents rudes ont poli les lourds rochers de granit, mais la Villa Cassel est restée la même, belle et irréelle construction posée dans un écrin de verdure. Amande, mélèze, prairie, émeraude ou encore sauge ou lichen, les différentes teintes de vert s’entremêlent et forment un tapis autour de la blanche bâtisse. Des tourelles et des girouettes se découpent dans le ciel bleu. La façade en maçonnerie massive est revêtue de minces planches de bois, pour imiter un colombage. Patiné par le temps, le cuivre du toit s’est métamorphosé: sa teinte grise est un écho silencieux aux géants de granit qui, au loin, semblent arrêter les nuages. Un tel tableau se mérite. Aujourd’hui encore, il faut emprunter un chemin de cailloux et de terre, grimper une trentaine de minutes en direction de Riederfurka. Ce n’est qu’après un ultime effort, au sortir d’une pente raide, que le promeneur déjà essoufflé découvre cette demeure de conte de fées.

A l’époque où Winston Churchill séjourna dans la région, l’effort pour atteindre l’endroit était bien plus méritoire. Il n’existait pas encore de téléphérique. Ce n’est qu’en 1950 que ce dernier a vu le jour. C’est donc à pied ou à dos de mulet que les hôtes de la bonne société anglaise parcouraient les quelque 1300 mètres de dénivellation qui séparent Mörel, dans la vallée de Conches, de Riederalp. Clara Nef, une jeune femme originaire d’Appenzell employée à la Villa Cassel, a décrit la scène dans un ouvrage intitulé Au cours de notre temps. «A Brigue, des équipages accueillaient les voyageurs, et à Mörel attendaient les longues colonnes de mulets et les gens pour mener dans les airs les invités, les serviteurs et leurs innombrables bagages.» Churchill transportait avec lui un gigantesque appareil, une machine à écrire préhistorique que les habitants de la région pensaient être une imprimante à billets de banque.

Silence, j’écris!
Dans son ouvrage publié en 1978 et intitulé La Villa Cassel dans le miroir du temps, Ulrich Halder – premier directeur du centre Pro Natura désormais installé dans la demeure – conte une savoureuse anecdote sur Winston Churchill, alors âgé de 30 ans. En ce mois d’août 1905, celui qui deviendra ministre des Colonies quelques mois plus tard séjourne pour la deuxième fois à la Villa Cassel. Il raconte que, comme chaque jour, les vachers de l’endroit arrivent à la Riederfurka pour faire paître le bétail. Soudain, au deuxième étage de la villa, une fenêtre s’ouvre avec fracas, et un monsieur visiblement en colère se met à crier après les vachers dans un anglais élégant. Les vachers, aussi familiarisés que leurs vaches avec ce langage, ne peuvent adresser au furieux monsieur qu’un sourire amusé, ce qui accroît encore l’exaspération de l’Anglais. Les jours suivants, la scène se reproduit chaque matin, et les vachers, manifestement, prennent un malin plaisir à faire enrager cet étrange personnage. Il faudra tout l’art de la négociation d’Ernest Cassel pour les convaincre de remplir d’herbe et de foin les cloches de leur bétail moyennant quelques francs.

Churchill avait apparemment besoin de calme pour lire et écrire. Pour se détendre, ce politicien, qui vivait de son écriture et de ses tournées de conférences, aimait faire de «longues randonnées et de l’escalade dans les collines alentour ou au-dessus du glacier et le soir, bien sûr, quatre parties de bridge et puis au lit», écrivaitil encore à sa mère. On l’imagine jouant et discutant politique dans le salon aux boiseries claires transformé aujourd’hui en salon de thé où il fait bon flâner et déguster de délicieux gâteaux.
Un très long bâton de marche, que l’on peut encore voir et toucher dans la villa, semble avoir appartenu au grand homme. Sur le bois exotique, on peut lire trois lettres: WI.C. L’emportait- il lors de toutes ses excursions? A la fin d’un article du Walliser Volksfreund datant de 1943 et consacré aux séjours de Churchill dans la région, quelques lignes sont consacrées à une anecdote. Occupé à cueillir des rhododendrons, il aurait pu chuter dans un abîme si une domestique n’avait pas été là pour le rattraper. Sans elle, la face du monde eût peut-être été différente…

 

WINSTON CHURCHILL
Né en 1874 au Palais de Blenheim (GB), Churchill est mort en janvier 1965 à Londres. Militaire, journaliste, homme politique, écrivain, ministre du Commerce puis de l’Intérieur, il jouera un rôle important comme premier ministre lors de la Seconde Guerre mondiale.

Pour lire la suite: Marguerite Yourcenar à Evolène, Mark Twain à Zermatt et  César Ritz de Niederwald à Londres et Paris
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Téléchargez le pdf Paru le 10/07/ 2014 dans l'Hebdo
Riederalp Villa Cassel

Endroit romantique à souhait, construit par le banquier anglais Sir Ernest Cassel. Chambres de 2 à 3 lits ou de 4 à 6 lits. Parquets et mobilier sont d’époque. L’ancien salon a été transformé en salle à manger. 027 928 62 20 www.pronatura-aletsch.ch Riederalp

Ce dossier a remporté le Prix Média International Valais en 2015